Girona-Barça, c’est le premier match de l’histoire de la Liga qui devrait se jouer aux États-Unis en janvier 2019. Pourtant, entre la volonté de Javier Tebas et les contraintes de la réalité, il y a un monde.
Depuis que la Liga a annoncé vouloir jouer des matches aux États-Unis, la première équipe à avoir été pressentie pour inaugurer cet accord a été le Barça. Restait à trouver son adversaire. Il n’a pas fallu attendre longtemps avant que celui-ci n’émerge : ce sera Girona. Pour le club présidé par Josep María Bartomeu, pas contre cet accord à la différence du Real Madrid, c’est l’occasion de se montrer encore une fois outre-Atlantique, comme c’est le cas depuis bon nombre d’années lors des tournées estivales.
Pour Girona, c’est la même chose. Dès les premiers instants, le club catalan a fait part de son intérêt auprès de la Liga, encore plus promptement que Valladolid ou le Rayo Vallecano. Il faut dire qu’en tant que membre du City Football Group, société gérant les relations entre les clubs liés à Manchester City, cet attrait pour le marché américain n’est pas surprenant. À New-York, le groupe a créé un club de toutes pièces en 2013, le New York City FC. Seulement, certaines langues avancent que l’obtention pour Girona de la dispute de ce match aux USA pourrait émaner d’une raison plus personnelle. Parmi les propriétaires du club catalan se trouve le bien connu Jaume Roures, le boss de la société de diffusion Mediapro et ami de Javier Tebas. Le parallèle est tout trouvé. Ce match serait-il un service rendu à un ami ? Tebas balaie de la main ces rumeurs, en s’en remettant à la version exposée plus haut : l’intérêt vient du City Football Group et Girona l’a manifesté rapidement à la Liga.
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Rubiales s’interpose
La Liga tient donc ses deux partenaires pour ce premier match. Tebas dit qu’il y a 90% de chances que le match se joue aux Etats-Unis, vraisemblablement à Miami. Mais à l’instant, ses prédictions sont bien optimistes… Car pour pouvoir jouer à l’étranger, il faut cinq accords : celui de l’UEFA, de la CONCACAF, de la Fédération américaine de football, du Conseil supérieur des sports espagnol, et surtout, de la Fédération espagnole de football. Cette dernière, par l’entremise de son président Luis Rubiales a d’ores-et-déjà taclé Tebas lors d’une entrevue avec The Guardian: « Ce que Tebas a signé n’a aucune validité, aucun sens sans notre autorisation« . Rubiales accuse Tebas même de n’avoir consulté personne à la Fédération avant de signer cet accord. Le président de la Liga reconnaît la bévue, tout en tentant d’arrondir les angles : « J’aurais peut-être dû appeler Aganzo [le président de l’association des joueurs espagnols ndlr.] et Rubiales avant. Mais avec Rubiales (ancien président de l’association des joueurs espagnols, ndlr), j’avais déjà parlé de la possibilité de jouer des matches officiels en dehors de l’Espagne« . Encore une fois court-circuité et mis devant le fait accompli, comme pour le cas Julen Lopetegui avant le Mondial, Rubiales n’est pas tendre avec Tebas qu’il traite de « mal-élevé ». Bref, entre ces deux-là, la relation n’est pas au beau fixe et la perspective de trouver un accord quant à ce match paraît encore lointaine. Il s’agit là encore d’une guerre de pouvoir pour déterminer qui des deux est le véritable souverain au sein du foot espagnol.

Négocier avec les joueurs
Si Tebas semble avoir mis la charrue avant les bœufs en annonçant le match sans avoir les accords nécessaires au niveau institutionnel, cela n’est rien comparé au fait qu’il lui manque encore l’accord des principaux acteurs, à savoir les joueurs. Vous vous en souvenez peut-être, le 22 août dernier, les capitaines de première division s’étaient réunis au siège de l’Association des footballeurs espangols (AFE) à Madrid dans des circonstances exceptionnelles. Le président de l’association, David Aganzo, avait fait état des revendications des joueurs auprès de la Liga : être consultés à propos des grandes décisions, plus de matches le lundi et le vendredi, et plus de matches à 12h00. Aussi désordonnée que surprenante en raison de ces doléances en bloc après des années de silence, la communication de l’AFE a laissé le cours à deux interprétations possibles. Pour les uns, les joueurs veulent simplement être rémunérés pour ces matches joués outre-Atlantique. Pour les autres, il s’agit de préserver leurs conditions de travail. Un tel match en plein mois de janvier, des jours toujours surchargés en raison de la cohabitation de la Copa del Rey avec la Liga, contraindrait les organismes à des efforts très peu bienvenus. Toujours est-il que sans avoir convaincu les joueurs, qui agitent la menace d’une grève sous le nez de Tebas, la rencontre prévue sur sol américain n’est pas prête de voir le jour. Une rencontre est prévue dans la semaine entre Aganzo et Tebas pour tenter de résoudre le problème. Tebas a d’ores-et-déjà écarté l’option d’une compensation économique à l’égard de l’AFE. « Tout n’est pas argent dans la vie » a-t-il asséné. Il ne fallait pas trembler du menton pour sortir cela…
Tout est argent
Tout n’est pas argent (c’est quand même la raison pour laquelle Tebas a été élu par les clubs, mais passons). Peut-être que tout est symbole alors… Cette rencontre 100% catalane relève d’une valeur hautement emblématique. Jouer le derby de Catalogne à l’étranger représente-t-il à la fois la déterritorialisation et la volonté de dépolitiser ce match à fort potentiel indépendantiste ? À moins qu’au contraire, cette rencontre serve de vitrine mondiale à la cause indépendantiste. On parle déjà d’interdire les esteladas rojas à l’entrée du stade de Miami…
Pour certains, tout est amour, pour d’autres, tout est poussière ou tout est permis. Pour Tebas et son projet de s’exporter, tout est argent mais surtout incertitude.