Rubiales, une cuisine à coups d’explosifs dans les casseroles

Analyse En avant La Roja Liga Santander Real Madrid

Le 17 mai passé, Luis Rubiales devenait président de la Fédération espagnole de football. Depuis son élection, les faits d’armes de l’ancien président du syndicats des joueurs s’accumulent. Le successeur de l’omnipotent déchu Ángel María Villa défraie la chronique avec des choix tranchés, des clashs radiophoniques et allonge de jour en jour la liste de ses ennemis qui n’avaient pas prévus un tel début de mandat.  

Du côté de las Rozas, siège de la Fédération espagnole de football, la campagne présidentielle pour désigner son président s’est fondée sur une opposition typique. Luis Rubiales, c’est l’honnête homme, jeune, amis des médias, charismatique versus  Juan Luis Larrea, le dinosaure dans la lignée du tout-puissant Ángel María Villar s’accrochant à son pouvoir à coups de chantage, pressions, copinage, et autres méthodes opaques. Rubiales a comme atout d’avoir été un joueur apprécié par ses coéquipiers et supporters, capitaine de Levante bravant les blessures, puis apprécié d’une grande partie des joueurs professionnels, qu’il a défendus à la tête de l’AFE, le syndicat des joueurs pros. La politique fonctionne de la sorte : on oppose le nouveau monde tout propre, à l’ancien, pourri, élitiste, dépassé. Quoi de plus normal, le candidat sans expérience qui prévoit de perpétuer les affres de ses prédécesseurs n’a aucune chance d’être élu. Alors, après que la justice a fait le ménage au sein du football espagnol et que des élections dignes de ce nom ont enfin pu se produire, le nouveau monde a gagné sa place : Luis Rubiales, 41 ans, battait Larrea et ses 37 ans d’activité au sein du football espagnol.

Pour tout président élu, la première étape est de découvrir les casseroles laissées par son prédécesseur. En guise de cadeau de bienvenue, Rubiales héritait d’un voyage en Russie. Pas franchement heureux, il déclarait : « ça me met en grande colère qu’il y ait un voyage prévu pour les dirigeants, sponsors, familles et qui frôle les deux millions d’euros. Je suis très, très fâché que les dirigeants qui étaient là dans un moment de transition aient conclu cela, et en plus, on en peut pas être remboursé« . Rubiales tapait une première fois du poing sur la table en parvenant à modifier l’excursion au pays des Soviets, réduisant de la sorte les coûts. Symboliquement, c’était réussi. D’autant que des déclarations fortes accompagnaient cette décision : « Les choses ont été très mal faites. Avec moi, ça ne va pas se passer comme ça. Je ne vais pas le permettre. À partir de l’Euro ou du prochain Mondial, les choses ne se feront pas ainsi« . Rompre avec les méthodes passées, Rubiales saisissait l’occasion de marteler ce principe cher à sa politique. Un précepte qui serait au centre de sa prochaine décision…

Lopetegui, première contrariété

« Nous vous communiquons que nous nous sommes vus dans l’obligation de nous passer du sélectionneur national« . Le 13 juin, le centre de presse de Krasnodar est l’épicentre d’un tremblement inédit dans l’histoire du football. À deux jours du début de la Coupe du Monde, l’Espagne destituait son sélectionneur, Julen Lopetegui, coupable selon le président de la Fédération d’avoir négocié dans son dos, un départ au Real Madrid au terme de la compétition. Obligé de faire un choix qui serait de toute façon critiqué, Rubiales décidait de limoger Lopetegui. Que cette décision ait été juste ou non, les conséquences continuent de nuire à Rubiales aujourd’hui. En faisait usage de fermeté, toujours dans la veine de montrer que c’était lui le patron désormais, il prenait une décision qui avait toutes les chances de lui retomber dessus. Si l’Espagne faisait pâle figure, il serait désigné coupable d’avoir coupé l’herbe sous le pied à un groupe qui soutenait Lopetegui.

crédits : elpais.com

Pourtant, là où Rubiales a été touché, ce n’est pas au niveau du choix qu’il a pris, – choix qui ne contenterait personne de toute manière – que du négoce qui s’est mis en place entre le Real et Lopetegui sans que lui n’en sache rien. Rubiales avait accordé sa confiance au Basque en le prolongeant, bien que ce dernier n’ait pas voté pour lui lors des élections. En retour, toute la gratitude que Lopetegui montrait consistait à partir en douce au Real. Sous Villar, une telle chose n’aurait même pas été envisageable. Personne n’osait faire de mauvais coups au chef incontesté durant 29 ans. En revanche, le néophyte qui débarque dans ses habits vertueux fait moins peur. Gouverner par la peur, c’est généralement dissuasif.

Et voilà que dans l’opinion publique, Rubiales se fait incendier et attribuer l’échec de la Roja lors du Mondial, alors que dans cette affaire, il était tout sauf le premier fautif. Il parvient tout de même à redorer son blason lors de la nomination de Luis Enrique à la tête de la Sélection. En débauchant l’Asturien et ne cédant pas aux pressions intéressées requérant Míchel ou Quique Sánchez Flores, le président a fait le meilleur choix possible. Il ne faudrait que peu de temps cependant pour faire resurgir les critiques les plus virulentes.

Comme des enfants

À un mois du début de la Supercoupe d’Espagne, rien n’est encore prêt. Séville et le Barça ont des exigences différentes. Les Andalous souhaitent jouer deux matches, comme cela se fait toujours, avec une première rencontre le 5 août, tandis que les Catalans demandent à ne jouer qu’un seul match, plus tard dans le mois, en raison de leur tournée américaine prenant fin le 4 août. Les négociations prennent du temps, Rubiales est ouvert au dialogue, tout en étant prêt à avoir le dernier mot, car le chef, c’est lui. C’est finalement ce qu’il se passe : Rubiales tranche et décide que la Supercoupe aura lieu à Tanger, sur un match uniquement. Séville s’offusque au sein d’un communiqué où il déplore le fait de ne pas pouvoir jouer dans son stade au moins un match. Il estime que jouer un match unique au lieu d’un match aller-retour, comme cela se fait d’habitude, est injuste. Les Palanganas auraient voulu jouer devant leur public à qui ils avaient spécifié que la Supercoupe était comprise dans leur abonnement annuel. Quelques heures après la sortie du communiqué, Pepe Castro, le président de Séville est invité sur les ondes de la Cadena Cope pour exprimer son mécontentement. Là, il charge Rubiales : « Le mandat de Rubiales ne peut plus mal commencer. C’est une horreur. Une chose est que Séville veuille participer à la résolution du problème, l’autre est que nous soyons soumis à la faveur qu’il veut faire au Barça« . Flairant le bon coup, les journalistes de la Cope ont l’idée d’appeler Rubiales pour une explication en direct. Pour les médias, la politique est un spectacle prolifique.

Rubiales et Pepe Castro /crédits : copes.es

La réplique de Rubiales à Castro est piquante : « Pepe Castro m’a appelé et m’a dit « Tanger c’est super, mais oblige-moi, parce que moi je ne peux accepter ça. Les fans se jetteraient sur moi« . Évidemment, Castro réfute, avant de se faire traiter de menteur par Rubiales. Le football espagnol a honte pendant que les journalistes vantent « un grand moment de radio, comme on en faisant à l’ancienne« . En France, on aurait appelé ça « un moment de grâce »… Pour parachever le tout, le président de la Fédération propose à son homologue sévillan de révéler à tout le monde les messages échangés sur WhatsApp, histoire de voir qui a raison. Pendant ce temps-là, le grand concurrent de la Cope, la Cadena Ser vit une soirée tranquille, sans polémiques. Alors, quand elle voit que la Cope explose les audiences avec cet imbroglio, c’est à son tour d’appeler Pepe Castro. Et ô surprise, qui est rajouté à la conversation ? Rubiales, évidemment. C’est partie pour l’acte deux des hostilités, très semblable au premier.

Pas assez « présidentiable » ? 

Les commentateurs s’empressent de donner leur avis sur un feu qu’ils ont eux-mêmes alimenté. Rubiales est décrié pour son tempérament. On s’en prend à sa personne-même. « Trop colérique » entend-on, « pas assez de maîtrise de soi ». On choisit de mettre en avant davantage la grinta du joueur qu’il était plutôt que son intellectualisme (il a un diplôme d’infirmier, un d’avocat et un de directeur sportif). Il ne manque plus qu’à lui reprocher son amour pour Al Pacino et Kevin Spacey, deux acteurs excellant dans l’art de jouer les hommes véreux. Comme pour les politiciens, on se pose la question de sa « présidentialité ». Le président du football espagnol peut-il s’emporter la sorte ? Son égo n’est-il pas le moteur de ses décisions ? Les journalistes rappellent le cas Lopetegui, tandis que les twittos s’empressent de réexploiter une supposée tentative de règlement de compte à bras le corps avec Sergio Ramos. Après 3 décennies de Villar, l’analyse est d’une mauvaise foi confondante.

Rénovation de maison, révélation de saison

Quand un homme au pouvoir est en difficulté, il ne faut pas hésiter à tirer sur l’ambulance. Du moins, c’est comme ça qu’on fait en politique. C’est le moment parfait pour que Miguel Ángel Galán, un dirigeant lié à la formation des arbitres, refasse surface. Galán aime la lumière. Et puis surtout, Galán lorgne sur la présidence de la Fédération depuis un certain temps. Il s’était présenté aux élections en 2017 avant de se retirer, dénonçant des pressions (dont des menaces de mort) dignes de comportements mafieux. Depuis que Villar et ses méthodes dénoncées par Galán ne sont plus là, ce dernier peut se replacer dans la course à la présidence. Cela commence donc par faire vaciller Rubiales.

Miguel Ángel Galán, président du centre national de la formation des entraîneurs. /crédits : 20minutos.es

La ligne de Galán est très claire : première étape, rappeler à tout le monde que celui qui a dénoncé les agissements de Villar, le seul qui a osé parmi les personnes haut placées, c’est lui. Il est donc naturel qu’il revendique la tête du football espagnol. Il s’agit d’apparaître comme un homme de convictions, qui milite pour la justice. En son temps, il n’avait pas hésité à dénoncer le fait que Zidane entraînait le Real Madrid Castilla sans avoir les diplômes requis, tout Zidane qu’il était. Un homme droit qui veut en finir avec les magouilles comme Rubiales ? Oui à la première partie de la phrase, non à la seconde. C’est là que la deuxième partie du plan entre en action : il faut discréditer ce que Rubiales représente.

Galán se charge d’asséner un coup à l’image de renouveau offerte par Rubiales, en l’accusant d’avoir voulu utiliser de l’argent de l’AFE pour rénover sa maison. Selon lui, il aurait voulu rembourser une dette de 120.000 euros avec de l’argent appartenant au syndicat des joueurs. L’accusateur affirme avoir en sa possession des messages audios de l’architecte chargée de s’occuper de la maison de Rubiales. Ainsi, Galán un parallèle tout trouvé entre Rubiales et Villar : celui de l’homme corrompu dès qu’il arrive au pouvoir « Dauphin de Villar, agressif, dictatorial, membre de la clientèle de Villar« , Galán a le soin de faire comprendre à tout le monde que malgré les apparences, rien n’a changé du côté de la Fédération. Une décision de justice faisant suite à ces révélations offre un soutien de poids à Galán ; un tribunal de Valencia décide d’enquêter sur le cas.

Au milieu de tout ça, Barack Obama

Pour remonter sa cote de popularité, rien de tel que s’afficher au côté de grands noms et de recevoir leur bénédiction. Rubiales a trouvé son défenseur : Barack Obama. Invité encore une fois à la radio, il déclare : « J’ai parlé avec Obama brièvement et il m’a dit que l’inaction génère moins de critiques, mais que parfois, il faut agir. et qu’eux étaient sur la même longueur d’onde quant à la décision que nous avons prise par rapport à Julen« . Aussitôt prononcée, cette déclaration se transforme en meme en Espagne. Cela illustre une partie des problèmes rencontrés par Rubiales. En ayant choisi la transparence, il intervient beaucoup dans les médias. Malheureusement pour lui, sa crédibilité n’est pas au sommet. Alors, à chaque apparition, il en prend pour son grade.

crédits : elespanol.com

Autre désavantage à son encontre, il n’est pas craint comme Villar l’était. S’il avait des ennemis illustres tels que Javier Tebas, Galán, ou José Ramón de la Morena, célèbre journaliste du pays, Villar avait la mainmise nécessaire sur son environnement pour agir comme bon lui semblait, de manière impunie. Rubiales lui, a des ennemis (Tebas et Galán aussi), et ne fait peur à personne. Le football espagnol va devoir être patient. Il y a des ornières à chaque mètre sur le chemin de la réforme.

Elias Baillif 

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