La Roja, entre nostalgie et fracture générationnelle

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Crédit : Fifa

L’Espagne est passée à la trappe. Dans un match sans saveur ni ambition, la Roja s’est drapée dans ses vieux habits, sans jamais réussir à changer de garde-robe et a logiquement perdu contre la Russie. Mais comment en est-on arrivé là ?

Nous ne sommes pas sur un cataclysme imprévisible, l’élimination de l’Espagne est moins surprenante que l’Allemagne par exemple mais cela reste un échec. Un de plus serait-on même tenté de dire. Depuis le dernier titre en 2012, la Roja tâtonne, se cherche et est tiraillée entre la nostalgie d’un style qui l’a enfin conduit aux sommets et l’évolution du football qui le rend presque obsolète. La destitution de Julen Lopetegui juste avant le Mondial aurait pu nous mettre la puce à l’oreille. Sauf qu’on pensait l’Espagne capable de réciter son football, même sans un tacticien de haut vol sur son banc. Le projet de jeu était censé survivre aux imprévus et cela n’a pas été le cas. Et vu le contenu de ce 1/8 de finale où la Roja a atteint les 1114 passes mais n’a jamais réussi à être dangereuse, c’était une erreur de croire que l’expérience et le talent suffiraient. À tête reposée, des éléments sautent aux yeux.

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Un conflit de génération ?

En 2010, les jeunes dans la sélection de Del Bosque étaient Ramos, Piqué, Busquets, Pedro, Fàbregas, Silva. Des joueurs connus pour un certain type de football qu’ils vont élever au rang d’art, le toque. En 2018, les nouveaux sont Asensio, Koke, Lucas Vázquez. Le style est différent, plus moderne, plus physique, plus direct. Ce sont des amoureux des grands espaces quand la génération victorieuse de 2010 vivait à travers les petits espaces.

« Ce qui nous a conduit aux succès a été d’avoir la balle » Silva, nostalgique.

Silva a tiré le premier la sonnette d’alarme juste avant le 1/8 de finale, conscient que le style de la sélection était en train d’évoluer. Il a rappelé que la Roja a gagné en contrôlant le ballon. Un cri du cœur symbole d’une génération qui a encore un cerveau de jeune homme mais un physique qui ne suit plus vraiment. Cette sélection a existé à travers le cuir, en défendant dans de grands espaces et en attaquant les petits espaces. Une rhétorique surtout vraie pour 2010 et 2012, le sacre de 2008 étant un peu différent avec Senna en 6. Busquets en sentinelle et le Barça de Guardiola au sommet, c’est ce qui a conduit l’Espagne a dominé le foot mondial en mettant une claque à tout le monde. Une sélection pouvait jouer magnifiquement au football sans numéro 9 de métier.

Le retour d’un vrai numéro 9

Ces sacres et ces idées sont revenus sur le devant de la scène durant ce Mondial, bien avant la déclaration de Silva avec la titularisation de Costa. La Bestia, après eu la confiance quasi aveugle de Del Bosque, a su être efficace avec Lopetegui. Le technicien basque destitué, la Roja s’est retrouvée perdue. Hierro est arrivé et a annoncé vouloir perpétuer le style de Lopetegui tout en s’appuyant sur ses cadres, Piqué et Ramos en tête. Sauf que ces tauliers ont plaidé directement pour un changement à la pointe de la formation, militant pour un Aspas plus Roja compatible que Costa selon eux. C’est un fait particulier : Costa serait titulaire dans presque toutes les sélections, sauf qu’en Espagne son style fait débat. Pour ne rien arranger, le meilleur match de la Roja de Lopetegui, Espagne-Italie à Bernabéu, a été gagné « à l’ancienne » sans numéro 9 et avec un Isco en pointe.

« Diego Costa, le sommet de l’attaque, est la barrière contre laquelle la meilleure génération d’Espagne est entrée en collision lors de deux Coupes du monde » Diego Torres, journaliste à El País.

Les reproches sont devenus très dures envers Diego Costa dans les médias espagnols. Pourtant, son Mondial est bon et il a apporté à chaque fois qu’il a pu. Il symbolise un changement que beaucoup de suiveurs ne veulent pas voir en Espagne. Son football semble trop différent des tauliers et surtout peu compatible avec un football de possession. Ce n’est pas le seul. Isco, Asensio ou Koke joue à contre-emploi dans cette philosophie. Alors que la cohésion collective tenait sous Lopetegui, on est revenu 2 ans en arrière avec Hierro.

« Lopetegui était notre leader » Isco à Marca

Non pas par manque d’idées, ni par manque de choix, mais par une impossibilité à faire sortir les cadre de leurs zones de confort. La légende du Real Madrid était certes frileuse (par exemple, le choix de Nacho à la place de Carvajal pose question) mais il était dans l’optique de perpétuer le style de Lopetegui. Les Piqué-Ramos-Iniesta-Silva avaient accepté ces évolutions dans le jeu amorcé par le nouvel entraîneur de la Casa Blanca. De la verticalité par moment, du rythme, du jeu direct sans pour autant se renier totalement. Or, dès qu’ils ont pu, ils sont revenus aux fondamentaux et sont retombés dans le style nocif de 2014 et 2016, une possession sans danger. Des hommes ont été changés par Hierro :  Koke, Nacho, Isco, Asensio ou encore Costa mais le jeu est revenu en arrière.

Une génération encombrante ?

La vieille garde ne voulait pas d’un 9 comme Costa. Or, elle n’a plus le physique pour réussir à faire des décalages dans des petits espaces, à multiplier les appels et déplacements pour ouvrir les blocs bas. Face à la Russie, on a revu le match Grèce-Espagne de 2008 où la Roja n’a fait qu’allonger vers Güiza sans chercher à faire autre chose. Face à la Russie, elle a fait l’inverse. Elle n’a pas voulu varier son jeu, se contentant de faire tourner le ballon dans une possession négative inutile. Dans les deux cas, la Roja est restée unilatérale. En 2008, c’était un avertissement qui a conduit à un sacré tant attendu ; en 2018 ça lui a coûté très cher.

Crédits : The Telegraph

Se drapant dans la nostalgie de titres pendant 4 années de rêve, les cadres de la Roja n’ont pas eu conscience que le football de sélection a évolué. La possession n’est plus une fin en soi, les équipes ont appris à vivre sans le cuir et à maximiser chacune de leur situation par une verticalité à toute épreuve. Si l’Espagne a gagné dans un certain style, elle a aussi perdu avec celui-ci, et plusieurs fois. C’est normal que des joueurs qui ont grandi avec cette idée du football reviennent à ces fondamentaux quand la situation est tendue. En revanche, cela devient plus inquiétant quand des cadres vieillissants imposent un style qu’ils ne sont plus capables de magnifier, rendant inutile le jeu de la nouvelle génération.

Bien sûr, il ne faut pas tout jeter. L’Espagne produit de formidables footballeurs, aussi bien techniquement que tactiquement. Mais au lieu d’essayer de les faire entrer dans l’ancien moule pas actualisé, il faut réussir à adapter cette philosophie aux joueur à disposition. Isco a besoin d’espace pour exister, tout comme Asensio, sinon ils ralentissent fortement le jeu et ne servent à rien. L’Andalou a touché énormément le ballon mais n’a pas réussi à le faire vivre comme Iniesta le faisait en 2010. Koke n’est pas un Xavi, même s’il semble complémentaire à Busquets. Le football des deux hommes ne se comprend pas, ils ne se rendent pas meilleurs ensemble.

L’Espagne arrive à un tournant, sa formidable génération dorée, celle qui l’a extirpée de son statut d’éternel loser pour la conduire à celui de champion du monde va se retirer pour l’essentiel. Cela serait très bête de ne pas réinitialisé le modèle du jeu de la Roja pour la génération qui arrive, peut-être moins forte sur le papier mais avec des qualités certaines. Le prochain sélectionneur devra se rappeler d’où viennent les succès de l’Espagne mais il devra aussi vivre dans le futur. Vivre dans le passé est nocif et après 3 échecs consécutifs, la Roja doit impérativement se réinventer pour renaître.

Benjamin Bruchet

@BenjaminB_13

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