Ceuta et Melilla, morceaux d’Espagne au Maroc

Accueil CDM Découverte En avant Histoires La Roja

    Crédits : Teresapalomo

Pour clôturer la phase de groupe de cette Coupe du Monde 2018, l’Espagne affronte le Maroc. Si les Lions de l’Atlas joueront pour l’honneur, la Roja en revanche doit l’emporter pour espérer terminer 1re de sa poule. Ce match a une portée particulière, en filigrane. Deux morceaux de terres, deux enclaves, tendent les relations entre les deux pays. Présentation sportive de Ceuta et Melilla, deux entités méconnues.

Ceuta et Melilla sont deux petites enclaves espagnoles au Maroc et surtout les seuls morceaux d’Europe en Afrique. Inconnues pour la plupart des gens, elles sont pourtant une zone de tension importante entre les deux Royaumes. Ceuta est à quelques kilomètres de Cádiz, à l’embouchure de la Méditerranée. Melilla est située dans la vallée du Rif. Ces deux régions, grandes de quelques dizaines kilomètres carrés, ont été héritées par l’Espagne à la suite d’une histoire de succession portugaise.

Crédits : Le Cafuron

Melilla est surtout connue pour son architecture, symbole du modernisme espagnol. Surtout utilisée comme un port de commerce phénicien, elle est un lieu de vacances souvent plébiscité par les touristes ibériques. L’histoire de Ceuta est un peu plus compliquée. Cette pointe qui referme la Méditerranée,est une zone militaire stratégique. Elle a été conquise de nombreuses fois par un grand nombre de factions différentes avant de finir dans l’escarcelle espagnole. Ces deux lieux ont été par exemple les premiers endroits du soulèvement militaire qui a mené Franco au pouvoir. Jusqu’à l’indépendance du Maroc, le Generalísimo était accompagné de la Guardia Mora, une troupe d’élite composée de Marocains avec pour mission la protection du chef d’Etat.

SD Ceuta, l’héritier de l’Atlético Tetuán

A LIRE : La fascinante histoire de l’Atlético Tetuán, seul club étranger à avoir évolué en Liga

Les histoires marocaine et espagnole sont liées. Durant un long moment au XXe siècle, le second a mis le premier sous son protectorat avec l’aide de la France à la suite de guerres, notamment à Melilla. Acculé et à bout de souffle, le Royaume du Maroc n’avait que cette solution pour ne pas sombrer. Ce protectorat a donc amené un flux migratoire important, de nombreux soldats ont été envoyés au Maroc pour faire de la présence et acter la domination de la péninsule. Dans leurs bagages, entre les vivres et les armes, il y avait des ballons de foot. Le balompié est arrivé en Espagne par les cités portuaires grâce aux marins anglais. Les Espagnols ont fait la même chose au Maroc. La passion marocaine pour le sport roi se développe à ce moment là.

D’abord simplement spectateurs, les locaux commencent à se structurer et à s’approprier ce sport. Rapidement les premiers clubs naissent, animés soit par des Espagnols soit par des Marocains. Cependant, leurs existences sont précaires. Le football business est loin et faire vivre un club demande du temps et de l’argent. Beaucoup disparaissent, certains fusionnent et les premiers grands clubs commencent à émerger. Au départ, ils ne peuvent pas rencontrer les clubs sur le continent et un championnat local est donc créé. Par la suite, on les autorise à participer au championnat espagnol. Le plus grand club du protectorat sera l’Atlético Tetuán, présent dans la région nord, non loin de Ceuta. En 1951 après avoir été champion de Segunda, il gagne le droit de jouer en Liga. Il est le seul club étranger issu du protectorat à évoluer à ce niveau. Même si la saison se solde par une relégation, l’exploit est réel et reste dans les annales.

Le club de Ceuta face au Barça en Copa Del Rey. Crédits:Ultima Hora

Avec l’indépendance du Maroc en 1956, le protectorat éclate mais l’Espagne conserve Ceuta et Melilla. La raison semble simple : vu que la péninsule détient ces terres depuis une période antérieure à la création du Maroc, le nouvel Etat ne peut pas en réclamer la souveraineté. Dans les faits, c’est encore une zone de tensions importante. L’Atlético Tetuán a dû disparaître. Les dirigeants et joueurs espagnols ont rejoint Ceuta pour créer la SD Ceuta, héritière selon eux de l’Atlético. De leur côté, les Marocains ont créé le Moghreb Athletic de Tetouan. Ce club a hérité du stade, du nom et des couleurs de l’illustre Tetuán quand la SD Ceuta a récupéré sa place en Segunda. La ville de Tétouan reste toujours proche du football espagnol et de sa capitale Madrid. En 2012, le Real Madrid de José Mourinho est venu faire un match de pré-saison face au Moghreb Athletic. Le Moghreb garde aussi des liens forts avec l’Atlético de Madrid. En 2007 le président Cerezo a notamment annoncé la création d’une école de football estampillé Atlético à Tétouan et gérée en partenariat avec le MAT.

Ceuta et Melilla, des villes entre deux eaux

Les deux enclaves espagnoles au Maroc sont les seules frontières terrestres entre l’Union Européenne et le continent africain. L’histoire récente de Ceuta et Melilla est mouvementée. Pour beaucoup, ces villes sont encore fortement marqués par le Franquisme. Déjà parce que le soulèvement militaire a été en partie initié de là (avec l’archipel des Canaries, ndlr) avant de s’étendre au protectorat et de gagner toute l’Espagne. Ensuite parce qu’encore aujourd’hui le gouvernement central espagnol a du mal à accepter cette histoire. Bon nombre de monuments vantant le franquisme ont été démontés en catimini. Ceux encore en place ne sont pas indiqués comme tels et sont laissés dans un relatif abandon. Comme un bouton non traité, l’Espagne a longtemps voulu cacher cet héritage au lieu de l’accepter et d’en faire un lieu d’éducation populaire. Cependant depuis le début du XXIe siècle, la donne évolue petit à petit. Par exemple, certaines rues ont été rebaptisées : plutôt que des noms de généraux franquistes, on met en avant les résistants. Ce processus est long et encore loin d’être achevé mais la récupération de l’histoire par l’Espagne va enfin dans le bon sens. Madrid a aussi débloqué des fonds pour découvrir les fosses communes où des Marocains ont été enterrés après le soulèvement militaire.

Pendant longtemps, ces deux lopins de terre ne se sont pas sentis soutenus par le gouvernement central. Perdus entre une hispanisation lointaine et une progression importante de la population nord-africaine, les Européens locaux se sentaient abandonnés. Le statut des villes ont permis à beaucoup d’Espagnols de s’installer dans ces bouts d’Espagne au Maroc. De colonies militaires, ce sont devenues des colonies de peuplement où maintenant il existe des lignées ibériques présentes depuis 3 voire 4 générations. Néanmoins, le Royaume marocain n’a jamais abandonné son idée de récupérer sous son giron ces deux enclaves. Les années 1960 sont le premier tournant. Soutenu par l’URSS, le Roi du Maroc Hassan II va jusqu’à plaider son souhait à l’ONU, outenant même l’Espagne dans sa revendication de Gibraltar dans l’espoir d’avoir un retour d’ascenseur en échange. Il sera proche d’un accord mais il ne verra jamais le jour.

Juan Carlos et Hassan II. Crédits : Yabilabi

En 2002, les relations se tendent à leur paroxysme. Les possessions habitées de l’Espagne au Maroc sont Ceuta et Melilla mais Madrid dispose aussi de rochers certes inhabités mais aussi convoités par le Maroc. Lors de cette année de Coupe du Monde en Asie, le Royaume marocain envoie des militaires occuper l’îlot d’El Perejil à l’ouest de Ceuta. Madrid riposte. Les forces espagnoles se déploient et reprennent le caillou mais on d’approche dangereusement d’un point de non retour. C’est la diplomatie américaine qui va désamorcer la tension. En 2007, un visite officielle espagnole est organisée à Ceuta et Melilla. Le roi Juan Carlos rompt une loi non écrite mais respectée par les deux camps. Ce déplacement va ancrer dans la tête de tous l’hispanité des deux enclaves et réduire les ambitions marocaines. Surtout que Ceuta et Melilla vont trouver leur place dans l’UE. On préserve leur statut de port franc, restent en dehors de l’union douanière et de la PAC. Elles sont aussi exemptées de TVA mais bénéficient de fonds européens. On met en place un système de laisser-passer avec la ville de Tetouan pour éviter la demande de visa et faciliter les échanges économiques.

CETI FC, symbole des problèmes actuels de Melilla et Ceuta

Les tensions avec le Maroc se finalement sont aplanies. La vie quotidienne des habitants de ces deux enclaves ne s’est pas pour autant franchement améliorée. La fracture entre les possédants/dominants européens, plutôt riches et blancs avec les populations arabes et bien souvent musulmanes s’agrandit chaque jour un peu plus. Pour autant, il n’y pas de réel mouvement d’indépendance. Des partis arabes existent mais ne demandent pas la séparation avec l’Espagne. Felix Arteaga, chercheur en sécurité au think tank espagnol Elcano Royal, explique un peu la situation sur place : « Il y a très peu de mariages mixtes. L’intégration ne fonctionne pas du tout et le taux de natalité musulman est deux fois ou trois fois plus élevé que la moyenne espagnole ». Il ajoute : « cela devient un problème pour les services publics, le logement, l’eau, l’électricité et les écoles« . Bon nombre de Musulmans sont sortis du système éducatif très jeunes. Ils sont sans emploi et tombent dans la contrebande ou les trafics en tous genres. Melilla et Ceuta sont les villes européennes qui ont fourni le plus d’homme à l’EI en pourcentage de population par exemple, signe que quelque chose ne va pas.

L’équipe de Mellila à l’entraînement. Crédit : Elfarodemellila

A cette fracture interne, il faut rajouter les tensions aux frontières, bien qu’il existe une frontière robuste qui délimite l’Europe et l’Afrique. Cette barrière n’est que terrestre et donc plus facile à franchir que la Méditerranée. Beaucoup de Marocains rêvant d’une vie meilleure ont tenté de la franchir. Sur place, il était très compliqué de les expulser faute d’accord. Ce vide a créé un appel d’air avec des pays plus lointains. Ce flux de personne a forcé l’Espagne à construire des centres de rétention pour pouvoir encadrer ces personnes sans endroit où vivre.

Il y a 10 ans, dans un CETI (Centro de Estancia Temporal para Inmigrantes, ndlr) de Melilla, un de ces centres d’accueil temporaire, a vu le jour un projet novateur. De nombreux Africains tentent le long périple vers l’Europe avec le projet de réussir dans le football professionnel. Attrapés à la frontière, le football est un bouffée d’air qui permet aussi de tenter de s’intégrer dans ce nouveau pays. À Melilla, le directeur du centre a créé le CETI FC, une équipe de foot inscrite dans le championnat local de Melilla et qui a pour but de favoriser l’épanouissement des réfugiés. Coachée par un ancien militaire proche du directeur du centre, le CETI FC est devenu un modèle et l’expérience semble être un succès. L’équipe s’entraîne 3 fois par semaine et est composée de plus de 50 joueurs. Les rotations sont nombreuses, du fait des départs et des arrivées régulières de nouvelles personnes dans le centre.

« Certains comprennent le français, d’autres l’espagnol, mais la langue du football est très simple. Quand je veux transmettre quelque chose qui n’est pas fait sur le terrain, je parle au chef et c’est lui le responsable. Plusieurs fois, ils me reprochent de ne pas avoir de privilèges, mais nous leur donnons seulement le rafraîchissement après le match et ils ne demandent pas plus » Manuel Agullo, l’entraîneur du CETI FC

En plus, les résultats sportifs sont prometteurs : l’équipe est régulièrement en tête du championnat. Le club permet de mettre en lumière ce phénomène migratoire d’une manière différente. L’expérience est une réussite mais elle manquait de fond pour avoir du matériel adéquat et adapté à la pratique sportive. Après une pétition pour demander des aides publiques, le Real Madrid s’est proposé en soutien et le CETI FC a pu survivre.

Crédits : Teresapalomo

Le football à Ceuta et Melilla reste en retrait. Les clubs des deux villes ne sont pas très haut dans la hiérarchie espagnole et militent au mieux en Segunda B et en Tercera. Pire : ils disparaissent régulièrement ou doivent changer de nom à la suite de problèmes financiers. Récemment, Melilla s’était portée volontaire pour accueillir le match Espagne-Albanie qui comptait pour les qualifications du Mondial 2018. La candidature n’a pas été retenue, pour éviter les polémiques (c’est Alicante qui avait été choisie, ndlr) car quelques temps auparavant, un club de D1 marocaine, Difa Hassani El Jadidi, avait organisé sa pré-saison à Melilla. Une décision qui a fait resurgir les tensions entre les deux pays, certains reprochant aux dirigeants du club de reconnaître l’hispanité de la ville. Preuve que même si la situation s’est calmée, elle reste une zone de friction importante entre l’Espagne et le Maroc.

Benjamin Bruchet

@BenjaminB_13

Commentaires