Dimanche après-midi s’est tenue au Pays Basque une chaîne humaine de plus de 200 kilomètres pour soutenir le droit à l’auto-détermination de la région. En prenant parti pour cette opération, l’Athletic Club divise ses supporters. Explications.
Une chaîne humaine en faveur du droit à l’auto-détermination du Pays Basque, ce n’est pas une nouveauté. Un événement similaire avait déjà eu lieu en juin 2014, rassemblant environ 150 000 personnes, sur une distance de 123 kilomètres de la Bizkaia (la province de Bilbao) à Pampelune la capitale de la Navarre. L’Athletic ne s’était alors pas manifesté. Or, les choses ont changé cette année. Mais avant de parler du message de l’équipe présidée par Josu Urrutia, expliquons le contexte.
L’auto-détermination, un objectif pour beaucoup en Espagne
Nombreux sont ceux qui se souviennent de la gigantesque chaîne humaine de Catalogne, en 2013. Les organisateurs de la Voie Catalane parlaient de plus de 1 600 000 personnes. Ces dernières ont relié les 400 kilomètres séparant El Voló, en Catalogne française, à Alcanar. Cette manifestation avait inspiré l’association Gure Esku Dago (« C’est entre nos mains » en Basque), qui a organisé sa chaîne humaine l’année suivante.

Dans ces deux cas, le droit à l’auto-détermination est réclamé. Celui-ci, en cas d’autorisation, permettrait aux citoyens des deux autonomies de décider de leur avenir : rester sous autorité espagnole ou devenir indépendantes. Le tout se ferait par le biais d’un référendum, selon le même modèle que le référendum catalan d’octobre 2017, mais en version légale.
La chaîne humaine basque du 10 juin 2018
C’est donc sous un beau soleil que 175 000 personnes – selon les organisateurs – se sont tenues par la main. Elles ont relié les 201.9 kilomètres qui séparent Saint-Sébastien (province du Gipuzkoa) de la capitale de la communauté autonome basque, Vitoria-Gasteiz (province d’Araba).
Drapeaux basques, catalans, navarrais, lunettes de soleil et slogans indépendantistes étaient au rendez-vous. Plusieurs personnalités politiques telles que Carles Puigdemont – ancien président du gouvernement catalan – se sont exprimées. Ce dernier a parlé de la « force imparable de deux peuples frères », rappelant que la Catalogne sera toujours avec les Basques.
Tout mon soutien aux 175000 Basques qui sur 200km ont défendu leur droit de décider librement de leur avenir. Ils incarnent les valeurs de l'Europe que nous aimons. https://t.co/9LQmg0j7pt
— Jean-Guy Talamoni (@JeanGuyTalamoni) June 10, 2018
En France, la manifestation a provoqué beaucoup moins de réactions. Le président de l’Assemblée de Corse, le nationaliste Jean-Guy Talamoni, a apporté son soutien aux 175 000 Basques sur Twitter. Mais la véritable déclaration choc vient d’une des villes reliées par ces manifestants, Bilbao.
L’Athletic approuve et créé la polémique
C’est un simple tweet, publié sur les différents comptes officiels du Club, qui a instantanément créé la division.
El Athletic Club se une a la reivindicación social del derecho a decidir. @GureEskuDago #GizaKatea #BasquesDecide pic.twitter.com/qo4QpRNago
— Athletic Club (@AthleticClub) June 10, 2018
« L’Athletic Club se joint au mouvement social pour le droit de décider », tel est le message publié à 13h00. Les retweets et les like s’accumulent très vite, mais ce sont aussi les réponses qui se font entendre. Entre les tweets cités et les réponses en dessous du message original, les réactions se font par centaines. Certains, supporters ou non du club bilbayen, remercient l’Athletic pour le soutien apporté. D’autres, socios ou non, montrent fermement leur opposition.
Deux groupes se créent au sein des supporters des Leones. Les premiers sont fiers de supporter cette équipe qui partage leurs idées politiques. En revanche, le second groupe souligne que cette décision ne représente pas la totalité des socios. D’autres encore, certes moins nombreux, aimeraient uniquement que ce qui est extra-sportif ne soit pas abordé par l’Athletic.
Ces trois positions se comprennent tout à fait. Est-il étonnant qu’un indépendantiste soutienne ce message ? Qu’un rojiblanco se sentant espagnol s’attriste en voyant la prise de position du club ? Et est-il surprenant qu’un amateur de football, et plus particulièrement de l’Athletic, souhaite que son équipe reste neutre sur les questions politiques. En soi, tout cela n’est que simple logique.

Certains vont plus loin. L’exemple le plus repris est celui du journaliste Gorka Angulo Altube. Ce dernier, se réclamant supporter de l’Athletic, a publié un message annonçant arrêter de l’être. Il reproche à son ancien club de s’impliquer pour cette revendication sociale alors qu’aucune minute de silence n’a jamais été respectée pour les victimes d’ETA (ancien groupe séparatiste basque qui a officiellement renoncé aux armes en mai dernier, ndlr) à San Mamés.
Les joueurs de l’Athletic ne restent pas tous neutres
Pendant les années chaudes de l’organisation ETA, les dirigeants de l’Athletic ont tout fait pour rester neutre. Pas de déclaration, ni même de minute de silence pour les victimes. Les joueurs, même ceux connus pour leur désir d’indépendance basque, se devaient de rester tout aussi muet à ce sujet. Le milieu de terrain Mikel San José, natif de Pampelune en Navarre (qui appartient au territoire de l’Euskal Herria, ndlr) est le seul à s’être clairement exprimé sur la chaîne humaine de dimanche. Ce joueur a pour habitude d’utiliser Twitter pour donner son avis sur de nombreux sujets extra-sportifs et ceux-ci sont très souvent liés à la politique.
Erabakitzeko eskubidearen alde // Por el derecho a decidir #GizaKatea #BasquesDecide #cadenahumana pic.twitter.com/Y44sgy1M1w
— Mikel San José (@mikelsanjo6) June 10, 2018
C’est donc sur le réseau social de l’oiseau bleu que San José a évoqué le référendum légal d’Ecosse en 2014, qu’il a ensuite opposé à celui de 2017 en Catalogne. Tout cela avant de parler de la chaîne humaine du Pays Basque : « Chacun de nous est fort, mais encore plus lorsque nous nous unissons, quand nous sommes un groupe, un peuple ». Cette conclusion du footballeur de l’Athletic ne passe pas inaperçu à Bilbao. Tous les autres joueurs sont restés discrets à ce sujet, mis à part Iker Muniain. Un like sur la publication de soutien sur Instagram, aussi peu expressif soit-elle, est la seule réaction de l’attaquant.
Ce soutien de l’Athletic n’est pas une preuve d’indépendantisme
De nombreuses personnes l’ont pris ainsi : le message de l’Athletic est loin d’être une preuve d’une volonté d’indépendantisme.

Le droit à l’auto-détermination permet à un peuple d’exprimer son sentiment. Il peut ainsi dire à quel Etat il se sent appartenir.Les indépendantistes sont majoritaires dans ce genre d’événements, ce qui pousse un certain nombre de personnes à penser que ce soutien relève de l’indépendantisme, d’autant qu’il s’agit de l’un des premiers de ce type de la part de l’Athletic. Ce manque d’implication dans les questions extra-sportives n’avaient donc rien d’étonnant. La soudaine prise de position de ce dimanche change les choses.
Mais Gorka Angulo Altube a oublié un petit détail. Le 9 mars 2008, lors du match entre l’Athletic et le Real Valladolid (2-0), une minute de silence pour l’ancien homme politique, Isaías Carrasco, a été respectée à San Mamés. Le membre du PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) avait été abattu par un membre d’ETA deux jours plus tôt. Cette procédure était habituellement réservée aux décès de personnes proches du club. Il s’agit du premier et seul hommage de l’Athletic pour une victime d’ETA.
Cette minute de silence n’a duré que huit secondes. Une grande partie des 32 000 spectateurs de l’ancien San Mamés avait alors nui à son bon déroulement.

Il semble donc que le sport se doit de rester à l’écart de la politique, même si les deux sont officieusement très liés. La prise de position du Barça en faveur du référendum avait déjà divisé les supporters en 2017. Manifestement, l’Athletic a décidé de suivre cet exemple. Au risque de diviser ses propres socios.
Jérémy
@Euskarade