Mexique – Thomas Goubin : « Rafa Márquez n’est pas le Mexicain typique comme Cuauhtémoc Blanco »

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Correspondant à Guadalajara au Mexique, Thomas Goubin est un spectateur privilégié de l’actualité d’El Tri. L’auteur de « Marcelo Bielsa, El Loco Unchained » nous parle de Rafa Márquez, du sélectionneur Juan Carlos Osorio, des frères Dos Santos formés au Barça et même de la série de Netflix « Club de Cuervos ».

Le joueur emblématique d’El Tri, c’est évidemment Rafa Márquez. Comment est-il perçu au Mexique ?

Il est considéré comme l’un des meilleurs joueurs de l’histoire avec Hugo Sánchez mais en même temps, je n’ai jamais senti une grande adulation de la part des Mexicains. Cela vient du fait de son caractère impassible. Ce n’est pas le Mexicain typique comme Cuauthémoc Blanco qui, malgré une carrière plus modeste, est beaucoup plus aimé. Cela dit, au fur et à mesure qu’on s’est rapproché de sa dernière année et la possibilité de devenir le 3e joueur à disputer 5 Coupes du monde, on sent un grand support derrière lui et d’ailleurs lors du match amical contre l’Écosse, il a été acclamé comme jamais. Lors de ses adieux avec l’Atlas de Guadalajara en avril, il y a eu une immense couverture médiatique.

Les derniers mois extra-sportifs de Rafa Márquez ont été compliqués puisqu’il a été cité dans une affaire de narcotrafic.

Ce que je ressens vu d’ici, c’est qu’il est plus victime que coupable et qu’il est victime du contexte local. Les footballeurs, les narcos, les gens d’argent vont dans les mêmes restaurants, les mêmes boîtes. Il est considéré par les autorités américaines comme un maillon d’un réseau de blanchissement d’argent présumé d’un narco Raúl « El Tío » Flores. Certaines entreprises de Márquez comme une école de foot, des instituts médicaux dédiés aux sportifs, une association consacrée aux plus démunis sont des maillons de ce réseau. En fait, le joueur aurait fait office de prête-nom pour ce narco. Ce qui est apparu dans la presse, c’est que Márquez est un intime du fils de ce narco qui est le parrain d’une de ses filles. Une fois que tu es mentionné dans la liste américaine, tu es considéré comme coupable et tu dois prouver ton innocence. Il n’y a pas de présomption d’innocence comme dans la plupart des affaires judiciaires. Je sens que les gens ici pense que Márquez a été impliqué à ses dépens, sans le vouloir et qu’il aurait été abusé. Ils ne sont pas choqués par ça, on est dans un pays totalement gangrené par le narco. Ce n’est pas grand-chose par rapport au quotidien mexicain.

Crédits : weloba.com

Rafa Márquez a joué son propre rôle dans la série Netflix « Club de Cuervos ». Il y a une réunion entre joueurs pour former un syndicat. C’est fidèle à la réalité ?

Le syndicat des joueurs c’est un serpent de mer depuis les années 1990, Javier Aguirre avait été impliqué à l’époque. Mais à cause des pressions des dirigeants mexicains qui menaçaient de leur pourrir leurs carrières si le projet voyait le jour, ça ne s’est jamais pas fait jusqu’à l’automne dernier. Márquez, Salcido et Guardado qui est le capitaine du Mexique sont des leaders. Le rapport joueur-dirigeant au Mexique, c’est que le joueur n’a aucun droit et si il s’oppose aux dirigeants, il y a une solidarité entre les dirigeants des autres clubs pour ruiner sa carrière. Et même quand un joueur termine son contrat, il n’est pas libre. Il doit avoir l’accord du club auquel il appartenait pour pouvoir signer ailleurs. C’est ce qu’on appelle un « pacto de caballeros« . Les choses commencent un peu à avancer. Récemment il y a eu la Draft à Cancún comme toutes les années et le « pacto de caballeros », qui est un accord non écrit, ce qui est toute la subtilité de la chose, a été supprimé. La série est tout à fait contemporaine de ce qui se passe dans le football mexicain, même si la scène de la réunion a été dramatisée. Les joueurs ne doivent pas se réunir dans une cave mais plutôt dans un grand restaurant mais l’idée était là.

Il y a d’autres scènes marquantes, notamment quand Moi est squeezé de la pub pour Corona.

C’est du vécu ça, car il y a eu des histoires dans ce style-là. En 1986, Hugo Sánchez était avec Pepsi et on l’a plus ou moins forcé à faire une publicité pour Coca-Cola. Il fallait voir ce qu’il représentait à cette époque. Il a été menacé de ne pas jouer la Coupe du Monde s’il ne la tournait pas. Les sponsors ont un rôle assez fort au Mexique.

Crédits : libertaddigital.com

A propos d’Hugo Sánchez (qui a d’ailleurs un personnage homonyme dans Club de Cuervos), quelle est sa réputation au Mexique, sachant qu’il a joué à l’América et Pumas, deux des clubs les plus suivis du pays ?

C’est une idole, d’ailleurs plus à Pumas qu’à l’América car il était sur le déclin, mais il y a aussi une certaine distance avec lui car il a une personnalité jugée arrogante, un trait de caractère qui passe très mal au Mexique. Comme entraîneur, même s’il a été deux fois champion, il s’est un peu planté avec la sélection, ce qui ne l’empêche pas de donner des leçons à tous les sélectionneurs. En tant que joueur, c’est surtout une idole pour ce qu’il a réalisé en Espagne. Être sacré 5 fois Pichichi, c’est une performance historique et pas seulement d’un point de vue mexicain. Ici, Hugo Sánchez c’est le « Penta-Pichichi ». Il y a une dévotion par rapport à ça mais sinon, comme on dit, « cae mal a la gente ». Au Mexique, il y a beaucoup de supporters du Real Madrid, et ça ne remonte pas aux récents Clásicos Guardiola-Mourinho. Il y a une vraie assise populaire pour le Real Madrid depuis les années. Il y a aussi une polarisation avec les fans du Barça qui supportaient pour Rafa Márquez et le jeu de Guardiola.

D’ailleurs, on estime que le premier apprentissage du métier de coach de Guardiola, c’est au Mexique avec Lillo qui était son entraîneur. Ça a été une période charnière pour lui ?

Clairement. Pour moi, il a débuté sa carrière d’entraîneur au Mexique. C’était même plus important pour lui que de s’entraîner. Il avait des discussions à bâtons rompus avec Juan Manuel Lillo, il faisait des visio-conférences avec Menotti et Cruyff. Il était là-bas pour se préparer.

Tu parlais tout à l’heure de Cuauhtémoc Blanco qui a joué 2 ans au Real Valladolid (2000-2002), a inventé la Cuauhtemiña (le saut du crapeau a déjà 20 ans !) et est resté très populaire. Il est actuellement en campagne pour devenir gouverneur de province. Il y a un petit côté le Romario du Mexique ?

Vraiment petit côté alors ! Romario connaît à peu près ses dossiers, il défend des lois au Congrès. Sur la connaissance des dossiers, Blanco est beaucoup plus limité mais la classe politique traditionnelle est tellement décrédibilisée ici, il suffit qu’apparaisse son nom pour que les gens votent pour lui. En plus, il est supporté par le parti de gauche qui devrait remporter l’élection présidentielle, il bénéficie de cette dynamique.

Au-delà de Rafa Márquez, d’autres joueurs mexicains ont évolué en Liga ces dernières années et on pense surtout à Carlos Vela et aux frères Giovani et Jonathan Dos Santos. En janvier dernier, Vela a quitté la Real Sociedad pour Los Angeles. Il a un potentiel marketing ?

Absolument pas, c’est quelqu’un de très effacé, qui n’apparaît quasiment pas dans les media. Il le dit lui-même : ce qu’il veut dans la vie, c’est être tranquille et c’est pour ça qu’il est resté des années à la Real Sociedad alors qu’il aurait pu viser plus haut, quand il était l’un des meilleurs passeurs de la Liga. Là, il est à Los Angeles, il vit confortablement. Le public admire ses qualités techniques car c’est peut-être le joueur le plus doué de sa génération. Cela dit, il n’a jamais réalisé un match référence dans une grande compétition avec le Mexique et pour être adulé ça passe d’abord pas ça, notamment en réalisant un grand Mondial qui sera sa dernière chance vu son âge.

Il n’a d’ailleurs pas disputé la compétition il y a 4 ans.

Carlos Vela a une histoire compliquée avec El Tri. Il a été champion du monde U17, il est devenu un enfant star. En 2011, il y a eu -déjà- une orgie, à Monterrey. Vela était l’un des plus jeunes, manifestement Rafa Márquez et Carlos Salcido, des joueurs plus expérimentés, y avaient participé. Les deux seuls qui avaient été punis le plus durement, c’étaient Carlos Vela et Efrain Juárez qui avaient pris 6 mois de suspension. A partir de là, Vela a eu des rapports extrêmement compliqués, il ne voulait plus revenir. En 2014, quand il y a eu des approches pour le faire participer au Mondial (il n’avait pas disputé les éliminatoires), il a refusé de venir. Finalement, il est revenu et lors des derniers éliminatoires, il a été l’un des meilleurs.

Crédits : latina.pe

Les frères Dos Santos sont dans les 23. Ils avaient un gros potentiel à la Masia mais ils n’ont jamais vraiment confirmé, même s’ils ont eu de bonnes périodes à Villarreal.

Jonathan Dos Santos avait été le dernier sacrifié par Javier Aguirre. Ça avait été très mal vécu par son frère et par le reste de la sélection car Dos Santos et surtout Giovani est un des grands animateurs d’El Tri… pour le meilleur et pour le pire. C’est la première fois qu’ils sont ensemble. La présence de Giovani qui était incertaine mais il a fait un très bon match contre l’Ecosse. Il aurait été retenu mais vu son état de forme ce n’était pas gagné d’avance.

Qu’est-ce qui leur a manqué pour faire une meilleure carrière ?

Giovani n’est pas assez professionnel et se repose trop sur son talent. Son problème, c’est peut-être qu’on l’a vu plus fort qu’il ne l’était. La carrière de Jonathan a eu du mal à décoller car il s’est entêté à vouloir réussir au Barça. A Villarreal, j’ai l’impression qu’il était l’un des meilleurs joueurs, titulaire indiscutable, on voyait un joueur complet. Giovani avait fait une bonne moitié de saison à Villarreal avant de plonger. Le problème de Jonathan, c’est quand ça commence à bien marcher pour lui à Villarreal, il part rejoindre son frère au LA Galaxy. C’est difficile de le défendre puisqu’il va plutôt chercher le confort que la haute compétitivité. J’ai l’impression que Jonathan n’est pas les petits papiers de Juan Carlos Osorio mais je pense qu’il serait très dommageable de s’en priver car il a une justesse et un abattage qu’aucun autre joueur n’a.

Un autre joueur qui est passé récemment passé par la Liga, c’est le gardien Memo Ochoa qui a perdu tout le crédit qu’il avait acquis lors du Mondial 2014, à Málaga où il n’a jamais été en mesure de dépasser Carlos Kameni puis à Granada.

Ochoa a toujours été l’un des plus médiatisés mais il a toujours eu du mal à faire son trou en sélection. D’ailleurs en 2010 il fait presque tous les éliminatoires mais Aguirre met El Conejo Pérez, un petit gardien trapu qui n’avait jamais joué à l’étranger et qui joue toujours à 42 ans. En 2014, Ochoa acquiert sa place de titulaire au dernier moment et il fait un très bon Mondial. Ensuite, il fait de très mauvais choix, certainement par ignorance de qui était Kameni. Au Mexique, on considérait cela comme une grande injustice alors que Kameni avait toute une carrière en Liga. Il y a toujours un fossé entre son impact médiatique et sa carrière sportive. En ce moment, il est au Standard de Liège et titulaire en sélection depuis 2 ans avec Osorio et il est souvent bon.

Un joueur qui est revenu très fort en Liga, c’est Andrés Guardado.

Je pensais qu’à Valencia il franchirait un cap dans sa carrière et c’est là qu’il a loupé la marche pour s’imposer dans des tops clubs mais il s’est planté. Apparemment au Betis ça s’est très bien passé pour lui, c’est le capitaine de la sélection. Sur 10 ans, c’est sans doute le Mexicain le plus constant en Europe.

Juan Carlos Osorio est le sélectionneur. C’est étonnant de voir un Colombien plutôt qu’un Mexicain à la tête d’El Tri, vu que la Liga MX est un gros championnat ?

Effectivement c’est un gros championnat mais ce sont des entraîneurs étrangers qui font gagner des titres, même si beaucoup ont fait l’essentiel de leur carrière au Mexique comme Ricardo Ferretti le coach de Tigres qui est Brésilien. Est-ce que tu peux  me citer un entraîneur mexicain qui a fait école à l’étranger ? Javier Aguirre a fait de bonnes années en Espagne mais c’est vraiment le seul à s’être exporté. Pour moi, il y a deux explications. D’une part, ils sont tellement bien payés qu’ils n’ont aucun intérêt à aller à l’étranger. Par ailleurs, ils vivent dans un tel confort qu’ils n’ont pas envie de se dépasser, d’aller se former en Europe et d’en apprendre davantage. En général, même s’il y a de bons entraîneurs, le Mexique n’est pas une grande école comme l’Argentine par exemple. Si on s’y attarde, on voit que les Colombiens dans les sélections d’Amérique latine s’exportent énormément. Osorio a une connaissance absolument phénoménale du football, sur le plan tactique et physiologique puisqu’il a commencé comme préparateur physique. Mais le fait qu’il soit étranger fait qu’on ne lui passe absolument rien et sa cote de popularité actuelle est extrêmement faible.

Est-ce que le fait d’avoir des sélectionneurs de moindre envergure ou pas taillés pour le job entretient la malédiction du 5e match en Coupe du Monde ? On se rappelle de Sven-Göran Eriksson en 20088, grand coach des années 1980-1990 mais ridicule avec El Tri. Est-ce qu’ils ont du mal à trouver un entraîneur au niveau du poste ?

C’est difficile d’attirer un grand technicien dans la mesure où le Mexique n’est pas un pays en position de gagner de grands titres. L’argent, la Fédération l’a. C’est la 5e ou 6e sélection au monde qui en génère le plus, avec tous les sponsors et leur base de supporters, notamment aux États-Unis où El Tri disputent au moins 80% de ses amicaux. Eriksson a été un choix à contre-temps. Mais un Ricardo La Volpe ce n’était pas une mauvaise idée. Il n’est pas considéré comme un grand entraîneur mais il a très bien fait jouer le Mexique, il avait reçu les éloges de Pep Guardiola et Franz Beckenbauer pendant le Mondial 2006. Au final, Osorio c’était un choix par défaut. Miguel Herrera a été viré pour avoir frappé un journaliste de TV Azteca. Dans l’urgence, il a fallu trouver un nouveau sélectionneur. C’est à ce moment-là qu’on a attendu le nom Marcelo Bielsa, en 2015 après son départ de l’OM. Les dirigeants n’arrivent pas à convaincre l’Argentin qui ne veut pas leur parler. C’est ensuite qu’apparaît le nom d’Osorio.

Bielsa n’a donc jamais été proche de diriger El Tri ?

La Fédé a essayé d’enrôler Bielsa mais il a clairement répondu qu’il n’était absolument pas prêt à consulter une nouvelle offre, quelle qu’elle soit. Il venait de démissionner de l’OM et ne voulait pas prendre un autre club ou une sélection. Le président de la Fédé s’est senti offensé car Bielsa n’avait pas voulu le prendre au téléphone. Donc au final, il y a eu un vrai rejet de Bielsa. Mais même des journalistes mexicains étaient persuadés que c’était fait car il y a eu beaucoup de bluff et de com’ en sous main de la part de la Fédé. Mais Bielsa on le connaît, il n’est pas du genre à sauter d’un projet à un autre, même si, pour moi, le Mexique avait tout pour lui plaire. C’est un pays qui fait un bon travail avec ses jeunes et qui met des moyens dans ses équipes juveniles. Bielsa en général vu ses exigences pour le salaire, la logistique et les équipements, le Mexique était prêt à le faire, d’autant que le pays a une tradition de vouloir être protagoniste. En plus, au Mexique, il n’y a pas vraiment de joueurs explosifs mais des joueurs très résistants. Et que demande Bielsa comme minimum à ses joueurs ? Courir pendant 90 minutes. Et ça, il l’aurait eu avec le Mexique.

L’entraîneur à la mode en ce moment c’est Mathias Almeyda qui a joué un an à Séville. Va-t-il partir de Chivas comme prévu et a-t-on une possibilité de le voir à la tête d’El Tri après le Mondial ?

Almeyda ce serait la solution la plus évidente pour remplacer Osorio. Il n’est pas encore officiellement parti de Chivas mais le club ne veut plus dépenser d’argent et ne veut plus payer. Au Mexique, tout est trouble car les budgets ne sont pas publiés. Logiquement, il va partir dans les prochains jours et c’est le candidat numéro 1, surtout parce qu’il a été champion avec Chivas qui est un club 100% mexicain. Les gens ont vu qu’Almeyda sait très bien faire jouer les Mexicains ensemble dans un championnat qui est inondé d’étrangers comme par exemple Tigres qui a des internationaux français, argentins, équatoriens.

Pour terminer, est-ce qu’il y aura une nouvelle fois la malédiction du 5e match cette année et qui sera la révélation d’El Tri lors du Mondial ?

El Tri prend l’Allemagne dès le premier match mais je suis confiant pour que le Mexique se qualifie pour les 1/8 de finale. Ce n’est pas une grande équipe mais c’est une bonne équipe avec des joueurs d’expérience comme Guardado, Chicharito, Herrera, Márquez et des jeunes comme Ticatito et Lozano qui sera une révélation sans aucune hésitation. Il vient d’ailleurs de se mettre avec Mino Raiola. Mais si tout se passe comme prévu, ce sera le Brésil en 1/8 de finale. Et pour avoir suivi les éliminatoires de la zone Am-Sud, le Brésil de Tite, c’est très costaud.

François Miguel Boudet

 

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