
Grâce à un jeu et une force collective récupérés, le Brésil figurera parmi les favoris en Russie. Pour saisir ce regain de football, il faut comprendre le rôle de Paulinho et Casemiro.
Il existe un paradoxe célèbre portant sur le fromage, communément appelé « paradoxe du Gruyère ». Son énoncé est le suivant :
plus il y a de fromage, plus il y a de trous ;
or, plus y a de trous, moins il y a de fromage ;
donc plus il y a de fromage, moins il y a de fromage.
Bien que séduisant, l’énoncé relève sans surprise du sophisme. Pour les deux prémisses, le contexte est différent, ce qui rend le syllogisme trompeur. Le paradoxe n’a finalement rien de paradoxal. Pour la première prémisse, on parle d’accroître la quantité de fromage, ce qui générerait plus de trous, alors que pour la seconde, il est question d’une quantité de fromage fixe.
Le paradoxe ne tient pas que du domaine de la logique. On peut également imaginer des paradoxes footballistiques. Celui de Paulinho en est un. Le joueur ne semble pas compatible avec le style de jeu du Barça. En revanche, impossible de ne pas valoriser son apport en termes de but. Alors, à quel point peut-on critiquer un joueur décisif ? D’ailleurs, est-il autant seulement limité qu’on le dit ? Car au Brésil, il fait l’unanimité. Encore plus aux côtés de Casemiro. Une histoire de contexte…
L’homme de main de Tite
« Paulinho, c’est un homme de confiance de Tite [le sélectionneur brésilien ndlr.] puisqu’il l’a eu sous ses ordres aux Corinthians, et c’est grâce à lui que Paulinho a pu rejoindre Tottenham à l’époque. C’est vraiment Tite qui l’a remis en selle. Après le mondial 2014, il avait totalement disparu de la Sélection » explique Dominique Baillif, journaliste spécialiste du football brésilien. Aux côtés du joueur du Barça, on retrouve un autre joueur de Liga en la personne de Casemiro. Fervant d’un système à trois milieux de terrains qui a fait son bonheur aux Corinthians, Tite choisit Casemiro pour occuper la place devant la défense. Depuis l’automne 2016, le Madrilène jouit de la confiance de son sélectionneur. De prime abord, cela pourrait paraître évident. Casemiro est titulaire au Real depuis cette période, et les titres européens confirment son bon agir. Néanmoins, il importe de se rappeler qu’il a été préféré à ce poste à Fernandinho et Fabinho, deux manieurs de ballon mieux dotés que l’ancien joueur de Porto. De quoi poser problème au moment de sortir le ballon proprement ?
La réponse est non. Malgré ce petit handicap, le Brésil ne souffre pas excessivement dans cette phase primordiale du jeu. Il a su trouver d’autres circuits de passe pour progresser depuis les bases arrières. « Le système de jeu passe souvent par les côtés. Alisson n’hésite pas à jouer sur les latéraux dès le départ en vue de jouer vers l’avant. Dans l’axe, Casemiro, même si ce n’est pas le plus grand technicien a quand même une qualité de passe qui fait qu’il peut permettre aux centraux de s’appuyer sur lui pour trouver un relais au milieu de terrain. Il donne le ballon ensuite soit à Coutinho, soit à Neymar qui redescendent un peu pour prendre le jeu à leur compte » détaille Dominique Baillif. Quand les latéraux se nomment Marcelo et Dani Alves, même si ce dernier sera absent en Russie, la relance s’en trouvent infiniment bonifiée. Reste à savoir comment cette équipe se comportera contre les meilleurs pressings, mais pour l’instant, elle répond bien aux défis adverses proposés.

Loin de l’hétérogénéité manifeste dont faire preuve Paulinho envers le jeu du Barça, le Brésil peut se frotter les mains d’avoir dans ses rangs un tel profil. Dans son rôle de percussion habituel, d’apparitions dans les derniers mètres, le joueur de 29 ans a marqué six buts lors des éliminatoires en vue de la Coupe du Monde, soit autant que des joueurs comme James, Neymar, et plus que Luis Suárez ou Coutinho. En plus de marquer quelques banderilles toujours bienvenues, les percussions balle au pied du blaugrana donnent la possibilité aux attaquants de la Canarinha de recevoir le ballon dans les pieds.
Servir le collectif
Dans cette équipe, Paulinho se comprend sous l’égide du maniement du ballon. Pour Casemiro, indépendamment de son office à la relance, c’est plutôt l’inverse. « Casemiro lui, est plutôt dans ce rôle de sécurité qu’il peut apporter. Il permet aux relayeurs de pouvoir monter en se contentant de sécuriser l’axe devant les centraux ». « On l’a vu lors des éliminatoires, ces joueurs-là sont indispensables au bon fonctionnement du collectif brésilien. On a peut être encore l’image d’une équipe datant d’il y a 15-20 ans, pratiquant un football champagne où il n’y avait que des techniciens. Mais ce n’est plus vraiment le cas aujourd’hui » relève le spécialiste du futebol.
À vrai dire, l’équipe se divise en deux unités : les joueurs flamboyants formant le trio d’attaque ainsi que les deux latéraux, et le reste. Sans les deux compères du milieu, les joueurs offensifs ne pourraient s’exprimer correctement. Preuve de cela, les abracadabrants déboulés de Marcelo sur l’aile gauche sont aussi légion au Brésil, du fait de la présence de Casemiro pour veiller au grain. Comme au Real, la paire fonctionne.

Bien défendre, cela permet aussi de bien attaquer. Grâce à ce travail souterrain officié par Casemiro et Paulinho, le Brésil a pu récupérer un jeu collectif convainquant offensivement, bien différent de ce qui se faisait sous le mandat de Dunga. Désormais, l’équipe ne dépend plus uniquement des génialités de Neymar, et elle a acquis une sérénité bienvenue en défense. Depuis la prise de fonctions de Tite, seuls cinq buts ont été encaissé en 20 matches. Comme lorsque le Brésil a glané sa dernière étoile, il a cette fois trouvé des joueurs capables de garantir la stabilité du collectif. « En 2002, il y avait un Gilberto Silva avec un Kleberson. C’étaient des travailleurs de l’ombre, qui se contentaient quasiment de tâches défensives. On n’en a pas énormément parlé car ils n’étaient pas les plus spectaculaires ni fins techniquement, mais ils avaient un rôle essentiel dans cette équipe-là. C’est ce que Tite a bien compris : avoir un milieu de terrain travailleur qui va servir les autres, et ne pas avoir quelque chose qui part dans tous les sens » analyse Dominique Baillif.
Résolution du paradoxe
Reste à élucider le paradoxe Paulinho. Pour ce faire, Dominque Baillif a sa petite idée : « Paulinho est un joueur qui peut évoluer dans un système à trois au milieu. C’est dans ce système qu’il a ses repères et dans lequel ses qualités de relayeur, de percuteur, de projection vers l’avant pour apporter une option supplémentaire en phase offensive, font que ça peut être un très bon joueur, et qui font de lui l’un des joueurs les plus utilisés par Tite. En 4-4-2, il est beaucoup moins à l’aise car on ne lui demande pas la même chose ». Comme pour le paradoxe du Gruyère, tout est question de circonstances. Et en parlant de Gruyère, la Seleçao affrontera la Suisse pour son premier match en Russie. Sauf que le Gruyère, le Suisse, ça n’a pas de trous…
Elias Baillif