Au terme d’une finale globalement maîtrisée et grâce à un Gareth Bale en état de grâce, le Real Madrid a remporté sa troisième Ligue des Champions d’affilée. Un combat pourtant déséquilibré face à Liverpool privé très tôt de son héros Mohamed Salah. Le chemin était déjà tout tracé, ces Merengues étaient destinés à conquérir l’Europe pour la 13e fois de leur histoire.
Avec le temps, les détails disparaîtront. Le Real Madrid ne se souviendra pas précisément comment il a écrit sa légende un soir de mai à Kiev. La façon dont cette équipe a gravé son nom dans l’histoire du football et a surpassé les meilleurs n’aura pas d’importance. Tout ce qui compte, c’est que comme l’Ajax Amsterdam de Johan Cruyff, le Bayern Munich de Franz Beckenbauer et le Real Madrid d’Alfredo Di Stéfano, cette grande cuvée du Real Madrid a fait ce qu’une poignée de grands étaient capables de faire, remporter la Coupe d’Europe trois années d’affilée.
Sa 4e Ligue des Champions en 5 ans, sa 13e au total, une armoire à trophées pleine à craquer et des victoires qui valent leur pesant d’argent et d’or dans l’histoire du football. Même si la manière dont ils réalisent ces exploits est toujours secondaire, le football c’est du jeu et des détails que les mémoires des fans choisiront de garder ou rejeter si cela ne correspond pas à leur récit.
La vague rouge, la digue blanche
Il y a eu deux mi-temps dans ce match : la première a duré 25 minutes, la seconde 65. La partie a basculé au moment de la sortie de Mohamed Salah.
Comme prévu, Liverpool a attaqué pied au plancher en mettant beaucoup de rythme et en étant agressif au pressing pour contrarier la relance merengue et récupérer les seconds ballons. Le premier rideau défensif Mané-Firmino-Salah a bousculé les Vikingos dans le premier tiers du terrain et plus particulièrement Raphaël Varane, ciblé pour sa qualité de relance. L’objectif était de contraindre Sergio Ramos à relancer ou à forcer le Français à allonger.

Toni Kroos et Isco ont dézoné pour toucher le ballon et proposer une touche technique pour se sortir de l’entonnoir. L’Allemand a principalement arpenté le côté gauche tandis que l’Andalou a fait soit l’essuie-glace pour presser soit l’aller-retour pour conduire le jeu et être aussi en bout d’action, comme lorsqu’il a touché la transversale en début de 2e période et quand il a chauffé les gants de Loris Karius quelques secondes avant sa sortie à l’heure de jeu.
Le joueur le plus en difficulté a certainement été Marcelo, particulièrement gêné par le jeu et la rapidité de Salah qui l’ont obligé à défendre en reculant.



Après la faute du latéral gauche à l’entrée de la surface de réparation (4′), c’est Sergio Ramos en personne qui s’est s’occupé de l’Egyptien avec l’épilogue que l’on connaît.


Pendant cette première demi-heure, la possession et la pression sont rouge mais les Reds n’ont eu qu’une occasion tangible : la frappe de Trent Alexander-Arnold. Notons une nouvelle fois le partidazo de Keylor Navas, impeccable de bout en bout.
Dans le même temps, le Real Madrid a eu deux opportunités non cadrées avec Marcelo et Ronaldo. Autrement dit : dans son temps fort, Liverpool a été contenu par les Vikingos.
Mo parti trop tôt
Après cette défaite, Liverpool et ses supporters n’auront pas le luxe, comme le Real Madrid, de choisir leurs souvenirs qui resteront hantés par des visions cauchemardesques. En guerriers, les hommes de Jurgen Klopp se sont battus, très bien battus même, mais en vain. Et comme de nombreux adversaires, ils ont longtemps cru pouvoir toucher le navire vikingo sans jamais l’atteindre. Durant l’entame de la première période, le trio endiablé Mané-Firmino-Salah a donné à Keylor Navas et aux défenseurs madrilènes leurs plus grosses frayeurs de la rencontre. Si le Real Madrid a plus eu le ballon en sa possession (65%), Liverpool a tenté neuf frappes contre trois et obtenu deux corners. Un impact et une profondeur de jeu apportés comme depuis toute la saison des Reds par un homme : Mohamed Salah. Son rôle d’aimant a notamment permis à Sadio Mané d’être influent de l’autre côté du trident.
Mais voilà, Salah est tombé au propre et au figuré sur Sergio Ramos, un joueur dont la grâce et la ruse peuvent être fatales. Sous les yeux de l’arbitre, Ramos l’a attrapé par le bras puis entraîné au sol sans qu’aucune faute n’ait été accordée. L’action est rugueuse mais à vitesse réelle, difficile d’y voir une volonté délibérée de Ramos de blesser l’Egyptien… Ce qui est certain, c’est que cette 25e minute est un tournant du match, tant Salah avait mis à mal tout le côté gauche du Real Madrid depuis le coup d’envoi.



Salah a essayé de continuer mais ne pouvait pas. Deux minutes plus tard, il s’est effondré en pleurs et sa participation au Mondial avec les Pharaons demeure incertaine. Sa blessure a fondamentalement changé le cours du jeu au niveau du positionnement. L’entrée d’Adam Lallana a changé la face des Reds. Salah contraignait Ramos à sortir et à le marquer à la culotte. La donne a changé, forcément à l’avantage de la Casa Blanca. La confiance de Liverpool s’est épuisée et le Real Madrid, enhardi par l’absence du seul joueur qui semblait vraiment inspirer la peur, a définitivement pris le contrôle. Les Merengues ont monopolisé littéralement la balle jusqu’à la mi-temps.
Ramos, encore lui
Le joueur que tout le monde aime détester qui blesse celui que tout le monde adore : cette fois encore Sergio Ramos n’a pas fait mentir sa réputation de défenseur violent. Le capitaine merengue a peut-être privé Mohamed Salah d’un Mondial où le Pharaon aurait été une attraction, donné un coup de coude volontaire à Loris Karius et exagéré chaque contact pour provoquer la faute adverse. La routine. Même s’il ne bénéficie pas d’une immunité totale (il est le joueur du Real Madrid le plus exclu de l’histoire du club), l’Andalou sait quand et comment faire mal. C’est sale mais c’est dans ses attributions.
Après avoir eu la peau de Salah, il s’est attelé à Sadio Mané, certainement le meilleur des Reds qui est passé sur le côté droit de l’attaque de Liverpool à la place d l’Egyptien, laissant le côté gauche à Adam Lallana.
Ramos a aussi fait du dépassement de fonction et c’est sur une de ses incursions dans le dernier tiers du terrain qu’Isco a été proche d’ouvrir le score en tout début de 2e période. Les deux fois où Ramos n’était pas au marquage de Mané, le Sénégalais a égalisé et trouvé le poteau de Keylor Navas.
Égalisation de Sadio Mané


Poteau de Sadio Mané




Cristiano Ronaldo dans un très mauvais jour
On dit souvent que le premier duel donne le ton du match. Sur le papier, Dejan Lovren face à Cristiano Ronaldo, on se dit que c’est joué d’avance. Pourtant, l’ancien Lyonnais a fait mal au Portugais. Dès la 30e seconde, le Croate est à 50 mètres de ses cages et rentre dans le quintuple Ballon d’Or qui accuse le coup. Lovren en flagrant délit d’imitation de Sergio Ramos… Au passage, l’élève surpasse le maître sur l’égalisation des Reds puisque c’est lui qui est à la réception du corner de James Milner.
Ronaldo commence le match à gauche mais avant même la fin du premier quart d’heure, il passe à droite pour voir si l’herbe est meilleure du côté de Virgil Van Dijk. Après une perte de balle de Firmino, Dani Carvajal intercepte et lance le Portugais qui accélère et tente d’arracher la lucarne de Loris Karius au premier poteau. Moins de 10 minutes plus tard, Ronaldo retrouve son côté gauche et le duo Lovren/Alexander-Arnold (numéros 6-66…). Il retente sa chance à droite à la 33e minute, la dernière action de Carvajal qui sort blessé.
En définitive, sa meilleure occasion arrive après la sortie de Salah, pendant que Liverpool se repositionne tactiquement. A la réception d’un centre d’Isco, il parvient à placer sa tête mais outre le fait qu’il trouve les gants de Karius, il est légèrement hors-jeu, ce qui coûte l’ouverture du score à Karim Benzema qui avait bien suivi. Pour le Français, ce n’est que partie remise. En revanche pour le Portugais, rien ne va. C’est bien simple : quand il a eu du champ, il n’a jamais pris la bonne décision. Un manque de lecture du jeu assez accablant pour un joueur de cet acabit.
Bale, un but pour l’éternité
Zinedine Zidane avait un avantage évident sur Jürgen Klopp : son banc. D’ailleurs, le coach n’a fait que deux changements, le premier contraint (Lallana pour Salah), le second poste pour poste à la 80e (Can pour Milner). En optant pour un 4-4-2 « rumbo » avec Isco en position de 10 créateur, ZZ a fait le choix de conserver Gareth Bale pour le moment time en passant dans un 4-4-3 « BBC ». La solution est venue du Gallois dès son entrée en jeu.
Loris Karius en fera des cauchemars et pour longtemps. Après avoir remis la balle dans les pieds de Karim Benzema, puis l’avoir regardé, horrifié, finir au fond des filets, il a dû penser que le pire était passé après l’égalisation de Sadio Mané. D’ailleurs, il se remet vite dans le match en détournant en corner la reprise d’Isco après un centre en retrait de Nacho. Mais davantage que le 1er et le 3e, s’il est un but que Karius gardera en tête, comme tous les supporters présents dans le stade ou devant leur poste de télévision, c’est celui-ci : Gareth Bale défiant la gravité, dans un moment à couper le souffle, un but immortel, qui sera mentionné chaque fois qu’une dispute sur la plus belle réalisation vue dans une finale fera rage.
Décomposition du but de Gareth Bale










Cette chilena, qui se place d’office au sommet des buts légendaires au côté de Rabah Madjer en 1987 et Zinedine Zidane en 2002, est l’aboutissement d’une suite de 20 passes, d’un placement parfait du Gallois et d’une grosse erreur défensive collective de Liverpool.
A ce moment-là, et même s’il n’y a qu’un but d’écart, la finale a rendu son verdict. Le Real Madrid a la maîtrise tactique et physique. Cette bicyclette fabuleuse assomme les Reds et booste les Vikingos. La frappe sur le poteau de Sadio Mané (Keylor Navas semble dessus si elle est cadrée) peut alimenter les regrets néanmoins.
Le doublé de Bale clouera Karius au sol, face cachée, la tête dans le maillot, incapable de se relever. Certes, le gardien des Reds est coupable d’une énorme faute de main. Mais, une fois encore, le Gallois a été laissé libre d’armer sa frappe flottante.


La touche française
C’est bien connu, le malheur des uns fait le bonheur des autres. Pour écrire cette incroyable histoire ils étaient plusieurs. Parmi les héros merengues, deux Français figuraient au casting : Karim Benzema et Raphaël Varane. L’attaquant a joué collectif, toujours intelligent dans ses passes et ses déplacements, jouant parfaitement en remise et gagnant presque tous ses duels. Il s’agit certainement d’un de ses matches les plus complets depuis le début de sa carrière. C’est bien simple : à l’image de Luka Modric, il a donné une masterclass de lecture du jeu et de lucidité.
En défense, Varane a réalisé 10 premières minutes de haute tenue, avec 3 interventions tranchantes. L’une d’elle est cruciale, lorsqu’il empêche Sadio Mané d’obtenir un face-à-face avec Navas en tout début de rencontre (6e). Par la suite, il a été bousculé dans les duels, devancé par Firmino puis par Van Dijk sur un corner offert par un mauvais changement d’aile de Carvajal ; il est aussi passé au travers d’une ouverture longue distance qui aurait pu profiter à Firmino si le Brésilien n’avait pas loupé son contrôle de la tête ; il a aussi manqué d’agressivité sur le centre en retrait de Sadio Mané qui, en fin d’action, a amené la frappe de Trent Alexander-Arnold bien captée par Keylor Navas. La sortie de Salah a aussi influé sur sa performance. En 2e période, Firmino n’a pas existé avec Varane constamment sur lui. A la 53e minute, il sauve le Real Madrid d’une égalisation en dégageant en corner du bout du crane… mais sur l’action suivante Sadio Mané a faussé compagnie à Marcelo pour marquer au second poteau. Dans un film hollywoodien, il serait le good cop et Ramos le bad cop.
Au milieu de ses héros et des célébrations, il y avait évidemment Zinedine Zidane. C’est lui qui a pris la décision de faire rentrer Bale et lui qui devient le premier entraîneur à remporter trois C1 modernes consécutives. ZZ a eu un rôle indéniable dans ces 3 succès d’affilée. Son Real Madrid ne s’affole jamais, même quand son adversaire le contraint à commettre des erreurs. Jürgen Klopp a proposé un pressing constant mais les Reds n’ont guère été capables de prendre les Vikingos de vitesse. Et si en plus, on leur offre des buts… Liverpool a été valeureux mais une nouvelle fois le Real Madrid s’est placé hors d’atteinte de son rival. C’était une finale de seigneurs européens mais la victoire, le trophée, la gloire et la place dans l’histoire .
Soledad Arque-Vazquez et François Miguel Boudet