
Timo Perälä est le président de Fox in the Box, une société finlandaise spécialisée dans la collecte de données sur les sportifs, et plus particulièrement les footballeurs. Depuis le début d’année, Fox in the Box travaille avec les équipes du groupe Baskonia-Alavés qui gère le FC Sochaux-Montbéliard pour 3 ans. Il l’assure : cette plateforme fondée par des professionnels des nouvelles technologies sera utilisée pour l’équipe doubiste ainsi que pour améliorer le rendement de son centre de formation.
Comment est né Fox in the Box ?
Il y avait beaucoup d’ingénieurs employés à Oulu par Nokia et l’université est très orientée vers les nouvelles technologies (20.000 personnes, soit un dixième de la population. La moyenne d’âge d’Oulu est de 38 ans, ndlr). Par exemple, la société Polar qui fait des électrocardiogrammes et des moniteurs de fréquence cardiaque a été créée par des anciens étudiants de l’université d’Oulu. Il y a donc une longue histoire entre Oulu et les technologies liées au sport et au bien-être. Les dirigeants de Nokia ont licencié beaucoup de monde (3500 personnes en 2012 auxquels il faut rajouter les 3000 sous-traitants menacés. En 2011, 4.100 personnes travaillaient pour le compte de Nokia à Oulu, ndlr) mais les ingénieurs ont pris des chèques qui leur ont permis de créer de nouvelles entreprises. Or, pendant leur temps libre, beaucoup de ces ingénieurs s’intéressaient aux nouvelles technologies sport et bien-être. Ils leur manquaient juste plus de temps et plus d’argent à investir. Ils sont allés à la rencontre des équipes pour leur demander comment elles fonctionnaient et ce dont elles auraient besoin pour s’améliorer.
Pouvez-vous nous expliquer ce qu’est Fox in the Box ?
Fox in the Box est une plateforme technologique de données qui utilise ce qui se fait de mieux pour les collecter. Nous combinons les données sur une seule et même plateforme. C’est pour analyser du big data, trouver les meilleures combinaisons et savoir quelles sont les données significatives pour l’athlète et pour le collectif. Nous l’utilisons pour le basket et le football mais plus largement pour tous les sports qui ont besoin d’analyse de données. Nous développons cela avec Baskonia-Alavés et JS Hercules, qui est propriété du groupe basque à hauteur de 50%, est aussi partie prenante. C’est une technologie émergente, principalement en Finlande. En quelque sorte, Hercules est un laboratoire de tests. Nous essayons et en fonction nous le transposons sur d’autres équipes. Rudes qui fait également partie du partenariat et bénéficie de la plateforme mais c’est véritablement à Hercules que nous testons en premier car c’est plus simple. En Finlande, il y a de nouvelles entreprises axées sur ces nouvelles technologies à propos du bien-être et du sport. Ici, on peut par exemple essayer des idées développées à l’université d’Oulu, notamment la vidéo. On voit ce que ça donne et si c’est concluant, on l’utilise pour la plateforme que peut utiliser Alavés, Rudes et bientôt Sochaux.
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Comment collectez-vous toutes ces informations ?
A l’heure actuelle, nous collectons les données via 5 logiciels : sur l’entraînement, sur des tests, sur le mental et d’autres choses. Normalement, tout se transpose sur des fichiers Excel. Nous travaillons pour trouver la meilleure technologie pour que cet enregistrement soit automatique pour garder le plus effectif et les transférer sur la plateforme. Nous essayons d’améliorer ce qui se fait déjà et de le remplacer. Par exemple, les équipes utilisent des capteurs GPS sur leurs joueurs pour analyser les mouvements des joueurs pour étudier leur vitesse, leurs accélérations, etc. Pour un seul entraînement, cela fait beaucoup de travail manuel à retranscrire. Tout ce processus peut être bien mieux automatisé.
Une fois que vous avez collecté les informations sur un joueur, comment faites-vous pour optimiser son potentiel et ses capacités ?
Au départ, nous avons une pyramide d’informations sur les performances spécifiques. Au bas de cette pyramide, il y a les performances physiques. Les jeunes joueurs ont un certain niveau de performances physiques et nous pouvons voir à quel niveau ils sont : leurs forces, leurs faiblesses, comment ils se comportent sur le terrain. Nous pouvons faire une analyse rapide pour un meilleur entraînement. L’idée c’est de comprendre à quel moment le joueur est le meilleur et à quel moment il rencontre des problèmes. Nous prenons en compte des données mentales, la qualité du sommeil, la nutrition. Si on voit qu’il est dans une période de moins bien, on peut lui accorder une plage de repos.
Comment collecter et mesurer la qualité du sommeil ?
Par le passé, c’était très difficile de mesurer la qualité du sommeil. Il fallait aller dans un laboratoire dans un hôpital pour l’analyser. Un logiciel peut vous donner un aperçu, grâce à un bracelet que vous portez pendant la nuit mais ce n’est pas suffisant. Désormais, grâce à un anneau que vous portez jour et nuit, on peut avoir de meilleures mesures et des informations plus pertinentes et précises sur le sommeil. C’est une technologie émergente et nous voulons qu’elle serve pour les équipes sportives.
Et en ce qui concerne les données mentales ?
C’est un domaine qui nous passionne et nous travaillons activement avec le BAL System d’Igor Jokic. Nous avons beaucoup parlé de cela avec Igor. Au final, ces données mentales seront les plus pertinentes et importantes pour les joueurs et pas uniquement pendant les matches. Ce que nous faisons actuellement, c’est une collecte via une application et un questionnaire à remplir. En Finlande, cela se fait déjà sur des étudiants dans des entreprises axées sur les technologies de l’éducation. De la même manière que pour la qualité du sommeil, nous étudions ce qui serait transposable au sport afin de les intégrer. C’est un champ d’action très intéressant sur lequel nous travaillons activement.
Chaque joueur est différent et il faut un suivi individualisé. Il y a des jeunes joueurs qui prennent plus de temps à éclore que d’autres »
Quelle est le rôle d’Igor Jokic au sein du BAL System (système de performance intégrale pour les soins physiques et mentaux, ndlr) et de Fox in the Box ?
Igor est à la tête du département performance du Baskonia-Alavés. Nous travaillons sur le type de données que nous voulons collecter et via quel type de technologie. C’est la première pierre de notre collaboration. Cela traite des données que les joueurs peuvent ou pourront utiliser. Notre préoccupation, c’est la lecture de celui qui au bout de la chaîne, si c’est simple à comprendre et à mettre en application. C’est un des points majeurs de la recherche et développement au sein du groupe Baskonia-Alavés.
Vous disposez d’un laboratoire en Finlande mais vous avez désormais un champ d’action plus large avec notamment une des meilleures équipes de basket d’Espagne et d’Europe ainsi qu’un bon club de Liga. Pensez-vous déjà à l’étape suivante, c’est-à-dire travailler avec des équipes qui participent régulièrement à la Ligue des Champions ?
Avant toute chose, il est primordial pour Fox in the Box d’engranger de l’expérience et d’améliorer notre système de collecte d’informations et leur mise en relation. Il nous reste beaucoup de champs à explorer. Le problème qui existe avec de nombreuses équipes, c’est qu’elles ne savent comment collecter les données, comment les utiliser et avec quelle technologie. Au final, les clubs emmagasinent énormément de données mais n’ont pas le temps de les analyser et ne savent pas les analyser de la meilleure manière. La seule façon d’y parvenir, c’est par l’analyse du big data.
Comment avez-vous rencontré Igor Jokic qui était professeur à l’université de Zagreb ?
Cela vient du JS Hercules. Initialement, le club a été créé par un étudiant de l’université d’Oulu, du département électricité plus précisément. Les premiers joueurs venaient d’entreprises de la ville et ils ont développé plusieurs types de connexions et de réseaux, principalement au travers de Nokia. L’idée motrice d’Hercules, c’est d’être une plateforme pour les entreprises locales. Le football est un langage universel qui ouvre des portes. C’est exactement ce qu’a fait Hercules. La rencontre avec Igor Jokic, c’est une coïncidence assez amusante. Des équipes de Liga emploient des agences de consulting et l’une d’elle est basée à Oulu. Il se trouve que l’un des dirigeants est ami avec le président d’Hercules. L’été dernier, nous nous sommes rencontrés avec Igor, nous avons eu une conversation, on lui a montré ce que nous faisions et il m’a dit qu’il travaillait avec un club qui était très porté sur l’utilisation des nouvelles technologies. On a parlé du Baskonia-Alavés et on s’est rendu compte qu’on avait la même vision sur la recherche-développement dans le sport.
Avez-vous rencontré José Antonio Querejeta, le propriétaire de Baskonia-Alavés ? On trouve surtout des articles globaux sur sa carrière d’entrepreneur mais il reste assez secret. Est-il impliqué dans le suivi des travaux du BAL System et de Fox in the Box ?
Je l’ai rencontré mais concernant sur le système de performance, nous travaillons principalement avec Igor Jokic. De ce que j’ai pu en voir, c’est qu’il est très professionnel, il veut améliorer les choses pour avoir une meilleure organisation. C’est bon signe. Il est intéressé et enthousiaste sur ce projet. Nous n’avons pas encore créé de joueurs (rires) mais nous voulons fusionner les meilleures technologies dont nous disposons en Finlande et développer l’innovation. Nous voulons apporter notre savoir et notre expertise aux équipes du groupe Baskonia-Alavés.
Les supporters de Sochaux et l’ensemble du football français ont des craintes quant à l’arrivée du Baskonia-Alavés dans la gérance d’un club historique, notamment au niveau du centre de formation. Avez-vous des projets à propos des jeunes joueurs de l’académie ?
Fox in the Box peut améliorer le suivi quotidien des joueurs, même s’ils sont jeunes, et analyser les résultats obtenus. Dans de nombreux cas dans les clubs, il n’y a pas assez de temps disponible pour tout le monde et les ressources sont limitées. Chaque joueur est différent et il faut un suivi individualisé. Il y a des jeunes joueurs qui prennent plus de temps à éclore que d’autres, par exemple chez les U12 et les U14. On peut se tromper sur leur talent tout simplement en se trompant de critères, ce qui conduit à prendre la mauvaise décision. Avec notre système, nous pensons que nous pouvons diminuer ce risque de manière significative, ce qui permettrait à l’académie de produire et de sortir plus de jeunes talents. A coup sûr, la technologie que nous développons à Alavés bénéficiera à Sochaux.

L’idée, c’est de comprendre pourquoi un joueur est supérieur dans ses performances. Ça n’arrive pas par hasard le weekend »
Ce système de collecte et d’analyse de données fait penser au film Moneyball (Le stratège en VF)…
La méthode utilisée par Billy Beane avec les A’s d’Oakland (la sabermetric, ndlr) ne concerne que des données de match. Pour nous, ce n’est qu’une fraction de tous les paramètres disponibles car ce qui se passe en dehors du terrain est plus pertinent et important. C’est une combinaison de la façon de s’entraîner, du mental, de la nutrition et de beaucoup d’autre détails que nous mettons en commun au moment de voir comment cela se traduit sur le terrain. L’idée, c’est de comprendre pourquoi un joueur est supérieur dans ses performances. Ça n’arrive pas par hasard le weekend. Quand un club investit beaucoup d’argent sur un joueur, il faut un suivi précis pour qu’il puisse répondre aux attentes sur le terrain.
Lionel Messi et Cristiano Ronaldo ont un niveau de performance exceptionnel qui ne diminue pas avec l’âge. Quelles sont les données que vous aimeriez connaître sur eux ?
A Fox in the Box, nous avons des informations sur des dizaines de joueurs, sur leurs caractéristiques sur et hors terrain. Ce qui m’intéressait, ce serait d’avoir leurs données quand ils étaient en centre de formation et voir leur évolution pour devenir des footballeurs d’élite. Peut-être d’ailleurs qu’elles existent, dans un fichier Excel oublié ou dans un cahier (rires). Et il se pourrait même que les joueurs soient intéressés et voudraient savoir quel était leur niveau plus jeune. Ce sont deux profils fascinants.
Est-ce que les entraîneurs sont ouverts à ce type de technologie ?
Ce n’est pas toujours simple car certains sont de la vieille école et font confiance à leur oeil et leur expérience. Ils peuvent refuser cette analyse de données. Mais dans un futur proche, je pense qu’ils devront s’ouvrir à cela même si ce n’est pas le début et la fin de tout. Cela peut les aider à prendre des décisions et à sélectionner les meilleurs éléments dans leur XI en fonction de l’état de forme des joueurs. Dans le football professionnel, on n’a pas le droit de se tromper et les marges d’erreur sont infimes.
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Le Deportivo Alavés n’est pas un grand club en Espagne, ni même au Pays basque dans la mesure où l’Athletic et la Real Sociedad récupère les meilleurs joueurs régionaux et qu’Éibar est devenu un pôle important ces dernières années. L’utilisation d’une plateforme comme Fox in the Box est une manière de les concurrencer pour rester en Primera, voire de jouer l’Europe dans un futur proche ?
C’est ce que je pense. C’est un pas en avant pour le club et une bonne manière de reconnaître ses besoins et ceux des joueurs dont il dispose. Il y a besoin d’individualiser les suivis dans un but collectif. Cela peut attirer les joueurs, pour s’améliorer et savoir comment y parvenir. Le rendu de l’équipe s’est amélioré à Hercules et ce qui arrivera très certainement à Sochaux, notamment au niveau du centre de formation.
L’utilisation de la plateforme limite aussi les erreurs de casting et les pertes d’argent ?
C’est là où je rejoins l’idée de Moneyball. Il n’y a pas toujours besoin d’investir beaucoup d’argent. Il faut savoir comment investir pour détecter les meilleurs talents et développer leur potentiel par vos propres moyens. C’est la meilleure et la plus sage des décisions à prendre.
Pensez-vous que d’ici 10 ans, tous les clubs utiliseront des plateformes du type de Fox in the Box et que c’est un processus inéluctable ?
Les grands clubs regardent déjà du côté des nouvelles technologies et il y a déjà des axes de coopération, notamment en Liga. C’est bien plus efficace que la vieille méthode, celle d’employer 5 personnes qui remplissent des fichiers Excel toute la journée. Cela provoquera des remous car fatalement ces personnes perdront leur emploi. Mais pour un club, c’est aussi un moyen d’économiser de l’argent et du temps tout en obtenant de meilleures analyses et de meilleurs résultats. C’est évident que tous les clubs sont intéressés par une telle plateforme.
Propos recueillis et traduits par François Miguel Boudet