Paulo Futre a fait un passage express à l’Olympique de Marseille lors de la saison 1993-1994 sans laisser un grand souvenir. En revanche, c’est une idole à l’Atlético de Madrid. Recruté par l’inénarrable Jesús Gil y Gil, le Portugais a tissé une grande relation avec l’afición colchonera.
Les promesses n’engagent que ceux qui les croient, mais parfois elles se réalisent. Champion d’Europe avec Porto en 1987, Paulo Futre a 21 ans et est un joueur convoité. Le Portugais a tout gagné avec le Dragão et a été élu deux fois meilleur joueur du championnat. En quête de voix pour être élu président de l’Atlético de Madrid, Jesús Gil y Gil en fait son argument nº1. L’heure est grave chez les Indios : c’est la fin de l’ère Calderón, 21 années de gouvernance découpées en deux périodes (1964-1980 et 1982-1987) et achevées par son décès le 24 mars 1987.

Gil y Gil, socio depuis 1981, n’est pas favori et se traîne une réputation peu reluisante depuis 1969, lorsqu’un le premier étage d’un hôtel construit à Los Ángeles de San Rafael, à une heure de route de Madrid, s’effondre et fait 58 morts. Alors l’entrepreneur met les bouchées doubles pour convaincre les quelque 22.574 socios. Il s’attire les bonnes grâces de deux journalistes influents, José María García et Encarna Sánchez (dont les cendres furent dispersées en mer depuis un bateau de la famille Gil en 2006) et investit pour se faire sa propre publicité dans les journaux madrilènes. Puis il finance des places de train gratuites pour les supporters désireux d’aller soutenir l’Atlético à Saragosse lors de la finale de la Copa del Rey contre la Real Sociedad. Enfin, alors qu’il est en ballottage défavorable après le 1er tour, il annonce le recrutement de Paulo Futre pour coller à son slogan « une équipe pour triompher de nouveau ».
Le Di Stéfano de l’Atlético
Lors d’une soirée de barra libre (open bar, ndlr) organisée dans une discothèque, Paulo Futre débarque à Madrid : « les seuls qui présentent des réalités, c’est nous, tonne Gil y Gil. L’Atlético avait besoin d’une star et il l’a : Paulo Futre ! Et vous pouvez vous servir à la barra ! ». Grâce au report de voix, la présidence était quasiment jouée d’avance mais cette annonce a entériné la victoire. Pour attirer le Portugais, Gil y Gil a mis les moyens de ses ambitions : contrat de 4 ans, un salaire de 120 millions de pesetas (environ 600.000€) par an et… une Porsche jaune sur demande du joueur. L’entrepreneur n’en doute pas, il s’agit d’un coup rentable et Futre sera un grand de l’Atleti : « cette opération est un investissement que je vais rentabiliser avec 30.000 abonnés. Si je ne la rentabilise pas et je ne peux pas récupérer mon argent, eh bien ce n’est rien car c’est le mien et je fais ce que j’en veux (en réalité, il était juste garant de l’opération, ndlr). En plus, tout ce qui est mauvais pour le Real Madrid est bon pour l’Atlético. Bernabéu a fait le grand Madrid avec Di Stéfano. Nous verrons avec Futre ».

Futre avait donc une sacrée pression sur les épaules et échouer n’était pas dans les plans de Gil y Gil. La finale de la Ligue des Champions avait été un récital, quoique que passé au second plan par l’inspiration géniale de Rabah Madjer au stade du Prater de Vienne. C’était une star du jeu que le nouveau président colchonero avait volé à l’Italie, au propre comme au figuré puisque le Portugais était arrivé en Espagne en jet privé depuis Milan où Porto disputait un Mundialito. « Il est le premier et quasiment l’unique galactique du club, constate Raúl Jimeno Menottinto dans « Atleti, vivir en rojo y blanco. Rien de moins : il a chargé l’entité sur ses épaules et a commencé à galoper sur les terrains de toute l’Espagne et de la moitié de l’Europe. Il l’a fait pratiquement seul, avec l’aide d’autres acteurs principaux comme Vizcaíno, Salinas, Manolo et Schuster ». La greffe prend entre Futre et l’exigeant public rojiblanco.
Dans « Hasta siempre Vicente-Calderón » de Patricia Cazón, Paulo Futre se rappelle de sa première fois dans l’enceinte du Paseo de los Melancólicos : « jamais un lieu ne m’a jamais fait aussi peur que ce stade la première fois que l’ai foulé en 1987. Nous jouions notre premier match de Liga contre Sabadell. J’ai contemplé la tribune et mes yeux ne pouvaient ni la voir complètement ni l’englober. Son immensité était imposante. Je me suis dit « et si j’échouais ? ». La liste des joueurs qui n’avait pas réussi ici était grande. Et si mon nom apparaissait ? ». En réalité, l’appui du Calderón le transcende. « Le football de Paulo Futre était vertigineux, explique Raúl Jimeno Menottinto. Avec le Portugais, tout arrivait à grande vitesse. C’était un todoatacante qui prenait plus de plaisir à donner un but qu’à marquer. Futre agglutinait le football. Ses coéquipiers le cherchait quand il résolvait. Gaucher, avec une crinière et le 10 sur le dos. Bonne combinaison. Il pouvait changer un match à lui seul ». En plus, celui qui est couronné Ballon d’argent en 1987 redonne aux Indios un motif d’espoir et le retour de l’Atlético sur le devant de la scène : « il a su nous remplir de fierté dans un moment difficile et il l’a fait avec des tirs et buts, avec ce trot pur qu’il avait quand il n’entrait pas en action ou manquait un but tout fait, avec sa façon de défier l’injustice ».
Gil-Futre, tandem lunatique
Paulo Futre a permis à Jesús Gil y Gil de remporter la présidence de l’Atlético de Madrid mais il lui a aussi servi pour sauver les bidons de l’entrepreneur décrié. La première fois, ce fut en janvier 1993. « Futre n’est plus o menino bonito de Gil et il doit partir, écrit Iván Castelló dans Salvaje, une biographie sur l’ancien maire Marbella. Gil s’est servi de l’opération pour montrer que Futre cherchait la sortie, à cause de tensions avec Luis Aragonés et de déloyauté envers le propre Gil. Mais la réalité cachait la banqueroute et la ruine, avec des salaires impayés aux joueurs. Les 600 millions de pesetas de Benfica étaient une planche de salut dans une mer de requins. De plus, l’honneur était sauf grâce à la clause anti-Real Madrid d’un milliard de pesetas. Mais même ainsi, le Real de Ramón Mendoza s’était rapproché du Portugais et lui aurait offert le contrat de sa vie. Mais Futre a refusé de signer, à la manière de Fernando Torres. Des gestes uniques et valorisés par l’afición rojiblanca ».
La seconde fois, ce fut en 1997. Après un passage éphémère à West Ham dans la lignée de ceux à Benfica, l’OM, la Reggiana et le Milan, Paulo Futre est nommé ambassadeur du club et participe au recrutement de Christian Vieri et Juninho Paulista. Lors d’un entraînement, Radomir Antic le voit tellement au-dessus du lot qu’il convainc Gil y Gil de le refaire porter le maillot rouge et blanc. Une pige d’une saison, à peine 10 matches, avant de terminer sa carrière au Japon. Le président n’est pas convaincu et rappelle le Portugais pour calmer la fronde : « je l’ai utilisé comme parapluie. Futre sait que je l’ai signé pour son charisme et pour calmer un peu l’afición pendant que nous nous défendions en justice. Je l’ai payé cher ».
Les relations entre le promoteur-politicien-maire-président et le joueur ont toujours été particulières, même si Futre a toujours été le préféré de Gil qui était bien connu pour ses coups de sang et ses disputes, notamment avec Luis Aragonés. Et si le maire de Marbella en a impressionné plus d’un, le Portugais ne s’est jamais laissé faire, notamment quand il s’est agi de truquer un match contre l’Espanyol lors de la dernière journée de Liga 1990-1991. Assuré d’être 2e, l’Atleti n’a rien à jouer, au contraire des Pericos qui jouent le maintien sur les ultimes 90 minutes de la saison. Le résultat contre un joueur. La confession de Futre a été publiée dans le journal Record après le décès de Gil en 2004 : « nous étions à l’hôtel à Barcelone, Gil me dit « nous ne pouvons pas gagner aujourd’hui, dis à tes coéquipiers de ne pas courir ». C’est la seule fois qu’il s’est passé une telle chose ». Révolté, Futre refuse de jouer et de s’asseoir sur le banc des remplaçants. Sa position de star de l’effectif lui avait permis d’éviter cet affront, à l’inverse du reste de l’effectif qui s’incline finalement 3-1. « Gil est entré dans le vestiaire et a dit à l’équipe qu’elle ne pouvait pas gagner. Mes coéquipiers n’ont pas osé le critiquer. C’est lui qui payait nos salaires et il a menacé de les virer s’ils n’étaient pas d’accord ».
Un doblete manqué et un retour à la maison
L’empreinte laissée par Paulo Futre est prégnante dans l’afición rojiblanca, bien qu’elle ne se reflète pas au nombre de trophées soulevés, deux Copas del Rey en 1991 et 1992, la seconde étant remportée contre el eterno rival. « Paulo Futre signifiait beaucoup plus pour l’Atlético de Madrid, écrit Raúl Jimeno Menottinto. Il jouait pour nous. Il célébrait les buts avec nous. Il était l’un des nôtres même s’il n’avait pas été élevé dans notre cantera. Son départ (le premier, ndlr) nous a déchiré le coeur. Opposé à Luis Aragonés, nous ne savions où nous positionner dans cette guerre fraternelle. Deux personnes avec le même sang se confrontaient et au final, nous avons tous perdu. Futre est parti sous les ovations, avec un Pau-lo-Pau-lo-Fu-tre-Fu-tre qui résonne encore au Calderón. Aucun autre joueur n’a été capable de nous arracher un cri aussi désespéré que celui-ci. Le rêve nous quittait et il l’a fait sous les applaudissements ».
Son départ de l’Atleti en 1993, alors qu’il n’a que 27 ans, a aussi signifié la fin de la carrière de Paulo Futre qui n’a jamais réussi à s’imposer durablement ailleurs. En 1996, les Colchoneros ont réussi le doublé Liga-Copa sans lui. « Cet objectif était un rêve de Paulo et vraisemblablement la promesse de Jesús Gil y Gil pour le convaincre de venir à Madrid. Il n’a pu l’atteindre mais au moins, il a pu profiter de quelque chose meilleur que dix titres : le retour à la maison. Quatre ans étaient passés et Futre jouait de moins en moins, fumait de plus en plus, mais peu importe quand le coeur t’appelle. Avec moins de vitesse mais le même dribble. Avec un sourire immense et heureux. Pau-lo-Pau-lo-Fu-tre-Fu-tre revenait à la maison et il savait pourquoi : pour être parmi les siens ».
François Miguel Boudet
Les citations de Jesús Gi y Gil sont issues du livre « Salvaje » d’Iván Castelló.