Joaquín, une blague égal un but

Betis En avant Liga Santander

Joaquín est aussi footballeur que boute-en-train. Autant dire qu’avec lui, ça rigole beaucoup. Alors qu’il vit les dernières années de sa carrière, le plaisir qu’il a et qu’il donne est contagieux.

« – Mais qu’est-ce qu’il se passe ? Pourquoi t’as l’air aussi abattu ?

– Je reviens de chez le médecin. Il m’a dit que je devais arrêter le football…

– Hein ? C’est si grave que ça ?

Non, c’est juste qu’il est venu me voir jouer l’autre jour… » raconte hilare Joaquín, avec les rires de ses coéquipiers en arrière-fond. Si dans un premier temps le joueur andalou s’est fait connaître grâce à « la feinte et le sprint », slogan personnalisé et marque de fabrique de son jeu durant ses jeunes années, il est en train de se construire une solide réputation de blagueur invétéré. Partout où il passe, on lui commande des blagues. À tel point que, quand le 28 décembre (jour du 1er avril espagnol), le Betis annonce sa prolongation jusqu’en 2020, nombreux sont ceux à douter de l’information. C’était sans compter qu’avec ces choses-là, on ne rigole pas. Car avant d’être un joyeux larron, Joaquín est avant tout une pièce centrale de ce qu’est le Real Betis Balompié.

En quelques sortes, Joaquín est le garant de l’histoire et de l’identité du Betis. Avec ses plus de 300 matches sous le maillot vert et blanc, il fait partie intégrante de l’histoire du club. En 2005, il était de la partie lorsque les Andalous remportaient la Coupe du Roi, leur dernier titre à ce jour. Depuis, les choses ont pris une tournure maussade du côté d’Héliopolis, qui siffle et gronde à chaque déception. Les héros de 2005 ont pris leur retraite petit-à-petit. Mais Joaquín, lui, est toujours là. El Capitán garde le pont du vaisseau du Villamarín, en vieux loup de mer qu’il est. Loin d’être aigri par ces années de bourlingage, il est resté le même.

« On ne voit pas Joaquín comme une superstar lointaine du public. On le voit plutôt comme un ami, un parent. Cela défie les inégalités qui sont chaque jour plus grande en Espagne. Sa proximité, son côté naturel, ça aide. Dans une époque où les joueurs de foot sont distants des gens, dans une autre dimension, Joaquín est très différent. Difficilement vous trouverez quelqu’un en Espagne qui n’aime pas Joaquín » valorise Miguel Verdugo, collaborateur du média Beticismo.

S’il y a bien une chose que le Sévillan ne représente pas, c’est le footballeur capricieux, imbus de lui-même et motivé par l’argent. Tout ce qu’il veut, c’est être heureux, au point de refuser à répétition de rejoindre Chelsea ou le Real entre 2000 et 2006 « Pour Noël, je vais rendre heureux tout le Beticismo et lui dire que Joaquín ne sera pas transféré. Ca vous laisse bouche-bée hein ? Encore une fois, le Russe (Roman Abramovitch) et son offre c’est retour à l’expéditeur » annonçait fièrement Lopera, l’ex-président du Betis en 2004. « Dans sa carrière professionnelle, ça l’a desservi d’être resté autant de temps au Betis. Ça aurait pu être un joueur beaucoup plus grand s’il était parti avant. Mais il a montré que le foot ce n’est pas seulement gagner de l’argent et des titres. C’est aussi se sentir bien. Il est un exemple pour ça. Il considérait qu’il était heureux, alors il est resté au Betis » se souvient Miguel Verdugo. Pour les mêmes raisons, il est revenu à la maison en 2015, après neuf ans hors de sa ville. Quand le Benito Villamarín le vit effectuer son retour sur le pré malgré une main dans le plâtre, il comprit que le gamin qui courait comme un dératé à la 120e minute de la finale de Coupe du Roi n’avait pas changé.

Pourtant, la noblesse des sentiments seule n’a pas sa place dans le football. Le joueur est surtout jugé pour son rendement. Une question se posait alors : à 34 ans, que pouvait apporter Joaquín ? La qualité ne l’avait sans conteste pas quitté. Quant à son physique, c’était moins sûr… « La saison passée, nous avons commencé à suspecter que la fin arrivait » se souvient Miguel Verdugo, se muant en porte-parole de l’afición. Dans un football toujours plus associatif, le futur s’assombrissait pour un ailier qui avait eu tendance à faire la différence grâce à sa capacité physique supérieure. Avant que le doute n’ait pu s’enraciner fermement dans les consciences, Quique Setién débarquait au Betis. Un plan de jeu faisant la part belle à l’intelligence, un sac d’injures de tous types, bref, un football vécu sous l’égide de la passion qui correspond bien à celui de Joaquín.

« Grâce à Quique Setién, Joaquín a récupéré un très beau niveau, si ce n’est son meilleur niveau. Surtout en prenant en compte l’âge qui est le sien. C’est un joueur qui est toujours plus intelligent sur le terrain, éloigné de cet ailier qui bougeait dans le couloir. Désormais, il bouge à l’intérieur du jeu, mesure ses efforts, il sait se positionner dans la surface. Et la qualité technique, il l’a toujours« . Quand le corps fera défaut, l’intelligence sauvera le joueur. Ce n’est pas pour rien que l’on insiste de plus en plus sur cet aspect dans la formation des jeunes joueurs. Dans ce cas précis, l’intelligence du duo Setién-Joaquín a également consisté à se rappeler du passé. Un passé ayant été écrit du côté de Málaga. Là-bas, un certain Manuel Pellegrini avait déplacé Joaquín à l’intérieur du jeu. Celui-ci brillait en soutien de l’attaquant, alors qu’Isco faisait des siennes sur le côté gauche. L’expérience de Málaga a été transposée au contexte du Betis, et les choses se passent de fort belle manière jusqu’à présent. Joaquín dribble, attire des adversaires, passe, collabore avec l’attaquant, …

Crédits : Diario As

Tout le monde trouve son compte dans la configuration actuelle. L’entraîneur, qui au-travers du joueur obtient une plus-value pour l’équipe et le joueur ,qui retrouve une jeunesse. Sans oublier le public, pour qui Joaquín est un capitaine qui reflète l’identité du Betis. « Les dernières années, on voyait des capitaines avec très peu de matches au compteur. Il manquait aux gens un capitaine qui soit important. Joaquín a passé beaucoup de temps dans ce club, et durant ses deux étapes, il a été importantissime sur le terrain« , conclut Miguel Verdugo. Se reconnaître dans un club, en la figure de son capitaine, voilà ce que permet la valeur sociale du football. Il y a tout à parier que Joaquín est enchanté d’être le dépositaire de l’identité de son Betis. Tellement enchanté qu’il blague à ne plus savoir s’arrêter.

« Vous ne savez pas la dernière ? C’est Maria qui dit à son mari Antonio :

– Ça fait 40 ans qu’on est ensemble, et tu ne m’as jamais rien acheté…

– Bah, tu vends des trucs toi Maria ?« 

Elias Baillif 

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