Quini, la magicien a disparu

Barça En avant Retro

Monument du Sporting de Gijón, ancien joueur du Barça, Enrique Castro González dit « Quini » est décédé mardi soir d’une crise cardiaque, à l’âge de 68 ans. Immense buteur, l’Asturien était aussi connu pour son extrême gentillesse et humanité, y compris à l’égard du groupe qui l’avait kidnappé à Saragosse en 1981 et retenu captif pendant 3 semaines. C’est un géant du football espagnol qui vient de disparaître.

On mesure souvent l’importance des gens à l’heure de leur décès. Encore plus quand ce sont des idoles. Mardi soir, tandis que l’Espanyol et le Real Madrid se disputaient la victoire dans le froid glacial de Cornellà, les péripéties de la Liga sont devenues secondaires pour toute l’Espagne du foot. La nouvelle venait de tomber : victime d’un AVC, Quini était décédé, en pleine rue, à Gijón. Si pour les moins de 30 ans, ce nom n’évoque guère de souvenirs, pour toute une génération, Quini est une légende, un attaquant exceptionnel : 219 buts inscrits en 448 matches de Liga, le 8e total de tous les temps.

Entre 1970 et 1982, Quini a été un référent du but. « El Brujo » (le magicien) a remporté 7 fois le titre de Pichichi : 5 en Liga et 2 en Segunda. En 2002, Marca lui avait même décerné, ainsi qu’à Telmo Zarra, le « Pichichi de Oro ». Quoique natif d’Oviedo, il est indissociable du Sporting de Gijón qui, moins de 24h après son décès, a d’ores et déjà renommé le stade El Molinón – Enrique Castro Quini. Aîné de la fratrie, ses deux frères ont porté le maillot rouge et blanc mais, contrairement à lui, Jesús et Rafael ont joué gardien, respectivement avec l’équipe fanion et le filial. Le destin des cadets est souvent d’être dans les cages pour encaisser les buts du plus âgé…

Footballeur ouvrier

La vie de Quini, c’est aussi une page de l’histoire des Asturies. Il a hérité du prénom de son père, Enrique, et de son surnom. Sans le football, il aurait sans doute hérité du même travail d’ouvrier à la Ensidesa (l’acronyme de Empresa Nacional SIDErúrgica Sociedad Anónima, ndlr). En 1950, pour renforcer le potentiel de l’Espagne dans le domaine de la sidérurgie dont le fleuron était localisé à Bilbao depuis le début du XXe siècle, des hauts-fourneaux ont été construits dans les environs d’Avilés, ville située à équidistance d’Oviedo et de Gijón, au bord de la mer Cantabrique. Pour donner une idée de l’investissement, c’est Carmen Polo, ni plus ni moins que l’épouse de Franco et native d’Oviedo, qui était venue inaugurer l’usine.

Le jeune Quini a commencé le football sur un terrain recouvert d’une pellicule de charbon au sein de l’équipe du Colegio de los Padres Salesianos, dans le quartier de Llaranes où vivaient les ouvriers de l’entreprise. Il a ensuite porté les couleurs du Bosco Ensidesa et a débuté à 18 ans au CD Ensidesa qui évoluait à l’époque en Tercera División. Un destin dépend souvent de peu de choses. Installé sur le côté droit, Quini n’excelle pas. Le Real Oviedo le contacte pour qu’il intègre le filial mais son père rejette catégoriquement la possibilité de rejoindre les Carbayones. Après tout, pourquoi quitter Ensidesa, club et usine, pour toujours jouer en Tercera et avec des déplacements quotidiens en prime ? Grâce à l’arrivée de José Luis Molinuevo, Basque de Bilbao passé notamment par Montpellier, Perpignan et le Racing Club de Paris, Quini est repositionné dans l’axe et retrouve le chemin des filets. Non, son olfato, son sens du but ne s’était pas envolé ! Comme un bonheur n’arrive jamais seul, il rencontre son épouse, Mari Nieves, et en novembre 1968, il signe au Sporting de Gijón en compagnie de son frère Jesús, décédé en 1993 en sauvant un père et ses deux fils de la noyade.

Parque de los Hermanos Castro, situé en face du Molinón de Gijón Crédits : FM Boudet

« Pichichi de Oro »

Lors de la saison 1969-1970, Quini inscrit 24 buts et termine Pichichi de Segunda, ce qui permet aux Rojiblancos de remonter en Liga après une décennie dans la division inférieure. Le trophée de meilleur buteur, « El Brujo » le remporte 4 autres fois sous les couleurs du Sporting (1974, 1976 et 1980 en Primera, 1977 dans la división de plata). En 1976, alors que Gijón est relégué, le Barça tente de recruter l’international espagnol (entre 1970 et 1982, 35 sélections pour 8 buts, 2 Coupes du Monde en 1978 et 1982 ainsi que l’Euro 1980) pour 50 millions de pesetas mais l’affaire capote. C’est finalement 4 ans plus tard, à 31 ans, que Quini débarque en Catalogne pour 82 millions de pesetas.

De ses 4 saisons en Blaugrana, on retient ses 2 nouveaux Pichichis (1981 et 1982), le 3000e but de l’histoire culé en Liga, les 2 Copas del Rey, la Coupe des Coupes et la SuperCoupe d’Espagne mais surtout son kidnapping rocambolesque organisé par trois paumés de Saragosse dans une vieille Seat et dont la séquestration a tenu l’Espagne en haleine pendant 25 jours. C’était en mars 1981, quelques jours après la tentative de putsch militaire contre le pouvoir démocratique le 23 février, une période troublée, en pleine réorganisation politique après la mort de Franco en 1975 et où régnait un chômage massif pour l’époque.

« Ahora Quini ahora »

Mais au-delà de ses immenses facultés de buteur, Quini était surtout apprécié pour sa bonté sans pareille. Lors du procès de ses ravisseurs, il avait témoigné en leur faveur, leur avait pardonné et renoncé aux indemnités qu’il aurait dû percevoir. Plus tard, il avait voulu rencontrer les policiers qui l’avaient délivrer pour les remercier. Les messages d’adieu témoignent de sa grande gentillesse, de son héritier « El Guaje » David Villa à Diego Maradona, sans oublier Manu Preciado, fils de Manolo, coach emblématique du Sporting décédé d’un crise cardiaque en 2012 et dont la statue trône à côté du stade.

Crédits lavanguardia.com

De Gijón, de Barcelone et de toute l’Espagne ont afflué les réactions attristées de sa disparition. Dans la chapelle ardente installée dans « son » Molinón, des supporters Sportinguistes de tous âges sont venus s’incliner devant son cercueil. 14.000 personnes ont ensuite garni les tribunes pour un ultime adieu. Le mythique chant « Ahora Quini ahora » qui poussait les Rojiblancos et qui avait fait fondre en larmes Quini lorsqu’il luttait contre un cancer de la gorge a résonné une nouvelle fois en l’honneur de l’aîné des Castro. « Le Sporting c’est toute ma vie » avait-il l’habitude de dire. A voir les yeux embués des supporters et ressentir l’émotion palpable à Gijón, on comprend que c’est avant tout l’un des leurs qui est parti car « El Brujo » représentait fièrement le peuple asturien. Adiós Quini adiós.

François Miguel Boudet

Commentaires