La ville de Bilbao, au Pays Basque espagnol, a été en ce début de semaine le théâtre d’affrontements violents entre ce qui semblaient être des supporters de l’Athletic Club et du Spartak Moscou. Mais pourquoi cela ?
Les bilbayens (mot français pour appeler les habitants de Bilbao, ndlr) sont réputés pacifiques dans le football espagnol, appréciant regarder leur équipe au stade San Mamés Barria. Selon le proverbe local, l’Athletic est une religion qui se pratique dans la Cathédrale. C’est de cette expression que provient le surnom du stade, la Catedral del fútbol.
Pourtant, certains supporters de cette équipe ont participé à de violents affrontements contre ceux du Spartak Moscou, club que les Basques devaient affronter sportivement pour les seizièmes de l’Europa League.
LA FORTE RÉPUTATION DES SUPPORTERS DU SPARTAK
Certains clubs sont plus connus pour leurs supporters que pour leur palmarès, mais les deux peuvent – et sont souvent – liés. C’est le cas du club le plus détenant le record de championnats gagnés en Russie (10), le Spartak Moscou. Pourtant, la réputation européenne de cette équipe est davantage due à la réputation de ses supporters – souvent appuyée par les évènements lors des déplacements européens – qu’à ses performances sportives lors des compétitions occidentales.

En effet, de nombreuses rumeurs sur les supporters du club russe persistent. La plus connue d’entre elles expliquent que ce sont des néonazis, très violents, profitant des matchs de football pour se battre. Cette réputation a ressurgi récemment en Espagne, en novembre 2017. Le Sevilla FC recevait alors le Spartak pour le match retour de la phase de groupes de Champions League. Les Andalous s’étaient inclinés par six buts à un en terres russes et espérait alors faire une remontada. La victoire 2-1 ne le permit pas. Le club russe avait interdiction de vendre des places à ses supporters (une sanction de l’UEFA obtenue après des incidents à Liverpool), ce qui n’empêcha pas quelques centaines d’entre eux de se rendre à Séville, avec pour principal projet de faire un rapport de force avec les supporters espagnols.
LE RÔLE DES MEDIAS
Ce souvenir n’a pas pris longtemps à faire les 865 kilomètres séparant la capitale de l’Andalousie à celle de la Biscaye. Une semaine avant le match, les médias régionaux et nationaux ont commencé à relayer tout ce qu’ils avaient concernant la réputation de ceux qu’ils appelaient déjà les ‘Ultras fascistes et néonazis du Spartak’. Rien de mieux pour rappeler l’antifascisme très présent en Pays Basque, mais aussi alimenter la peur dans les rues de Bilbao. En effet, les écoles bilbayennes ont adopté un plan semblable Vigipirate français, fermant les portes des établissements et ne laissant pas sortir les enfants non-accompagnés par un responsable. Certains restaurants et hôtels, profitant habituellement des rencontres sportives pour faire des bénéfices, ont préféré fermer pendant la période où étaient présents les Russes. D’autres, ne souhaitant pas diminuer leur chiffre d’affaires, ont préféré refuser l’entrée aux personnes ayant un nom à connotation russe.

L’arrestation d’un Russe au profil particulier à l’aéroport de Munich (Allemagne), largement relayé par la presse espagnole, a aussi contribué à la crainte au Pays Basque. En effet, cet homme était recherché pour tentative de meurtre lors de l’Euro 2016 à Marseille. Cette généralisation des supporters du Spartak est un réel problème pour les russes amateurs de football. Le site Sputnik News rapporte les propos du vice-président du Spartak, qui explique qu’il était clair qu’il y aurait des provocations : « Les médias locaux ont commencé par inventer des histoires effrayantes sur les supporters […] puis il y a eu des marches des radicaux locaux et les autorités ont démonstrativement renforcé les mesures de sécurité. »
LA MOBILISATION DES GROUPES BASQUES
Face à ce que les antifascistes basques appelaient une menace fasciste, plusieurs groupes de différents types se sont alliés à Bilbao, pour s’opposer aux supporters russes. Le créateur de cette opposition est le groupe Herri Norte Taldea, réputé en Espagne pour sa violence empêchant certainement l’Athletic d’être le club le plus fair-play de LaLiga. Ces membres se revendiquent d’ailleurs antifascistes au même titre que supporters de l’Athletic. Quelques jours avant la rencontre, ce collectif a publié – dans la ville et sur les réseaux sociaux – une affiche appelant à défendre Bilbao et les gradins de San Mamés des fascistes.
D’autres groupes de supporters de l’Athletic – plus ou moins réputés violents – ont répondu présent, allant de la Peña Marcelo Bielsa aux Piratak Athletik. Mais des associations totalement étrangères au football ont aussi répondu présent, à l’image de Sare Antifaxista ou encore ipEH Antifaxista, son homologue du Pays Basque Nord.

Ces rassemblements seraient, selon les représentants du club et des supporters du Spartak, la provocation ayant entrainé la réponse russe. Et comme le dit si bien Nail Izmaïlov (le vice-président du Spartak, ndlr), quand on est attaqué, on est obligé de se défendre.
LA DIFFÉRENCE AVEC LES AUTRES EQUIPES
Comme expliqué précédemment, les supporters de l’Athletic n’ont pas pour réputation de se battre contre les fans adverses, qu’est-ce qui a donc créé une telle opposition ce jeudi 22 février ?
Si vous avez une bonne mémoire, vous vous rappelez sans doute les incidents lors de l’arrivée des supporters du Paris Saint Germain à Bilbao en 2011. Ou encore plus récemment ceux avec les fans de l’Olympique de Marseille (2016) ou de l’Apoel Nicosie l’année dernière ? Pourtant, malgré la violence de ceux-ci, nous pouvons remarquer que la mobilisation basque avait été moindre. Seuls les plus radicaux des bilbotarrak avaient répondu aux fumigènes marseillais ou aux crachats des supporters de l’Apoel.

La différence est donc toute trouvée. La réputation fasciste des supporters d’une équipe créée en Pays Basque des souvenirs tels que ceux liés à Franco (pour les Basques du Sud) ou au nazisme (pour les Basques du Nord). Ces souvenirs entrainent ensuite la venue des organisations antifascistes d’Euskal Herria. La violence vient majoritairement de ces associations, et non pas de ceux que certains médias appellent les hooligans de l’Athletic. Bien entendu, il ne faut pas nier l’implication de groupes de supporters tels que les Herri Norte.
DES ÉVÉNEMENTS MARQUANTS
Après ces incidents, beaucoup de questions se posent, et pas que dans les frontières basques. Alors que les représentants du football russe s’acharnent à montrer que les supporters du Spartak n’ont fait que répondre à des provocations, les groupes antifascistes basques fêtent leur victoire face à la menace néonazie. Les deux camps ont bien installé leur tente, chacun restant sur ses positions.
D’un autre côté, la Ertzaintza (la police basque, ndlr) pleure l’un de ses agents. Inocensio Alonso Garcia était membre de la brigade mobile, il s’est écroulé devant le stade alors que les bouteilles et les pétards volaient autour de lui. Ses collègues et un supporter déclarant avoir des connaissances médicales ont tenté de lui venir en aide avant l’arrivée de l’ambulance, gênée par les affrontements. Âgé d’une cinquantaine d’années et vainqueur d’une tumeur, l’ertzaina n’a pas pu être ranimé. L’autopsie a ensuite révélé que son décès est dû à une obstruction de l’artère pulmonaire par un caillot de sang. Le médecin légiste a affirmé qu’il n’a pas reçu de coups, contrairement à ce qu’affirmaient certains médias.

Ce décès est l’évènement marquant de cette soirée de match, créant par la même occasion l’indignation de la Fédération espagnole de football quant aux violences liées au football. Clubs, joueurs, entraineurs, politiques… Nombreux sont ceux qui se sont exprimés sur ces violences en prenant pour axe principal le tragique décès du policier basque. Une minute de silence doit être observée pendant toutes les rencontres du week-end en Liga.
MAIS QUE S’EST-IL PASSE DANS LE STADE ?
Ces malheureux incidents autour du stade ont cependant permis une chose positive – si l’on puit dire – pour les joueurs et l’équipe technique de l’Athletic. En effet, les journalistes n’ont que peu parlé de la prestation sportive des Basques, jugeant plus vendeur de leur demander un avis concernant les violences extérieures.
Sans envie, Los Leones ne sont pas parvenus à gagner ce match à domicile, leur avantage obtenu lors du match aller (1-3) leur permet de continuer dans la compétition malgré la défaite (1-2). C’est donc grâce à un score total de 4-3 pour les Basques que l’Athletic affrontera l’Olympique de Marseille en huitièmes de l’Europa League.

Pas d’incidents à noter du côté des tribunes du San Mamés. Le Club avait organisé un tifo géant pour encourager les joueurs. Seuls 36 873 supporters y ont participé, moins les membres du groupe ICHH, qui se plaignent depuis plusieurs mois auprès de la direction du club. L’une de leurs plaintes concerne l’interdiction de certains de leurs drapeaux et banderoles à San Mamés ou dans les autres stades.
Un russe poignardé dans le dos, des blessés à cause de tirs de balles de golfs, un ertzaina blessé et un chèque de 20 000 euros adressé par l’Athletic au Département de la Sécurité du Pays Basque. Telles sont les raisons pouvant compliquer la venue des supporters du prochain adversaire des rojiblancos en Europa League, l’Olympique de Marseille.
Reste à voir quelles leçons vont être tirées de ces incidents.
Jérémy
@Euskarade