A la surprise générale, le Depor a annoncé la nomination de la légende Clarence Seedorf sur son banc après une nouvelle déroute en championnat. Vraie bonne idée ou coup d’épée dans l’eau ?
Clarence Seedorf sera le 7e entraineur du Deportivo de La Corogne en moins de 3 ans. Une instabilité chronique qui est en train de détruire le club frisson des années 2000. Cette saison, le Néerlandais sera déjà le 3e Míster d’une équipe qui n’a gagné que 4 matchs en 22 journées de Liga et qui pointe à une piteuse 18e place. L’homme aux cuisses qui rendrait jaloux Fabian Cancellara sera-t-il de taille pour remettre à flot le club galicien ?
Un lien particulier avec l’Espagne.
« Quand je jouais en Italie, à la Sampdoria, après le dernier match de la saison, j’étais dans le parking du stade quand j’ai entendu quelqu’un m’appeler: «Hey Clarence, ça te dirait d’aller au Real Madrid avec moi ?» J’ai répondu: «Oui, Mister». C’était la voix de Fabio Capello »
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Personne ne sait si Clarence Seedorf suit encore la Liga avec attention et s’il passe ses dimanches midi devant des Espanyol-Leganés mais il connaît quand même le championnat espagnol, ce qui est déjà un bon point pour lui. De plus, il parle la plupart des langues de bases pour un entraîneur (anglais/espagnol/italien). Dans l’absolu, il ne sera pas perdu dans un championnat qui a certes pas mal évolué ces dernières années mais où tout n’a pas été chamboulé. Seedorf a aussi un lien particulier avec l’Espagne : une arrivée rocambolesque, les premiers titres remportés hors de son pays natal, premiers matchs de LDC face à l’Atleti en tant que Mister. C’est même en Liga où il a marqué son plus beau but selon lui ! Le Real Madrid l’a même approché lorsqu’il avait 15 ans, mais il avait poliment refusé.
« C’était un grand but sur le terrain et sur un plan émotionnel car, la veille, mon premier enfant était né. Je suis arrivé en Espagne ce matin-là, j’ai mangé, je me suis reposé, je suis allé au derby et j’ai marqué ce super but »
Par ailleurs, il connaît plutôt bien le Deportivo. Il n’était plus au Real quand le Depor a gagné un titre de champion et a volé la Copa du centenaire du club à la Maison Blanche mais il a connu l’EuroDepor avec l’AC Milan. C’est sûrement la plus grosse performance du club galicien en Europe. Une remontée fantastique, la victoire 4-0 au retour qui permet aux espagnols de gagner 5-4 en cumulé contre l’AC Milan du profesor. Le Batave n’arrive pas dans l’inconnu la plus totale.
Des influences variées
« Van Gaal a été le premier à avoir un impact sur ma carrière. Il m’a fait débuter à 16 ans. C’était un technicien passionné par le football, peut-être l’un des meilleurs que j’ai eu dans un camp d’entraînement. Il a beaucoup insisté sur les aspects techniques et tactiques »
C’est un fait, les joueurs qui deviennent entraîneurs par la suite sont marqués par les coaches qu’ils ont côtoyé durant leur carrière. En 25 ans, Clarence Seedorf en a connu quelques uns. Des bons, des moins bons, des hommes avec qui c’est passé, d’autre pas, mais dans l’absolu il a connu du beau monde. Lancé par Louis Van Gaal à 16 ans, il restera un des plus jeunes titulaires des ajacides des vingts dernières années. L’homme a bien évolué par la suite. Il a dû se faire mal mais il reste un fervent défenseur et admirateur du football total mis en place par le double goitre à cette époque. Il est aussi marqué par le coaching tout en violence de Fabio Capello qui a besoin de conflits pour faire avancer son groupe. Culturellement, c’est sa rencontre avec Sven Göran Eriksson à la Sampdoria qui l’a fait le plus progresser selon lui. Même si tout ne s’est pas super bien passé avec le Suédois, c’est lui qui a permis au jeune Seedorf de grandir en tant que footballeur et ne pas rester figé dans un style.
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« Il m’a appris beaucoup de choses dans et hors du football. Pour lui, j’ai réussi à m’adapter à de nouvelles cultures et à voir le football différemment » Seedorf sur Eriksson
Le côté bâtisseur de Carlo Ancelotti lui a plu aussi. C’est ce genre d’entraîneur qu’il aimerait être : prendre un projet et permettre de le faire avancer sur 3, 4 voire 5 ans et aller aux bouts de son idée. Clairement, Seedorf a été une éponge tout du long de sa carrière. C’est pour cela qu’on le surnomme le Profesor. Il a toujours été dans un rôle plus important que celui le simple coéquipier. Il voulait comprendre, apprendre, progresser, analyser, intellectualiser. Sa dernière expérience à Botafogo où il était joueur et assistant lui a aussi permis de franchir le palier plus facilement et sans coupure.
Quel style de jeu ?
Pour l’instant, c’est plutôt compliqué de le figer dans une case. Il n’a aucune saison entière en tant que coach. Il a pris deux clubs en cours de saison, l’AC Milan et le Shenzen. Une situation qui a l’air de plaire au Néerlandais qui « aime avoir la patate chaude » comme il l’a expliqué en conférence de presse. Sur le pré, on va surtout se focaliser sur son Milan qui a été son expérience la plus longue sur un banc même si c’était la première.
« J’aime avoir la possession du ballon et articuler le jeu par derrière, mais si l’adversaire fait beaucoup de pressing, il faut avoir la possibilité de jouer directement vers l’attaquant »
Lorsqu’il prend en main le club lombard, Max Allegri vient d’être viré, l’équipe est 10e et déjà très loin du podium. Seedorf a pour objectif de terminer européen, autrement dit dans le Top 6. Comptablement, les résultats sont prometteurs sans être incroyables. Sur le terrain, la donne est différente. Il a mis tout de suite en place un 4-2-3-1 qu’il n’a jamais fait évoluer. Offensivement, cela tournait pas trop mal même si certains joueurs ont été utilisés à contre-emploi. On pense directement à Pazzini, qui vient de rejoindre Levante, et qui a été plus mal utilisé par le prof. Seedorf ne s’est pas adapté à son effectif : son Milan a donc pris beaucoup de buts qui ont coûté pas mal de points. De plus, les Rossoneri avaient énormément de ballons mais manquaient de vrais créateurs. Les liaisons sont vite devenues trop prévisibles et son équipe est rapidement devenue ennuyeuse.
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Les intentions étaient bonnes et on ne le jugera pas trop sévèrement. L’effectif n’était pas idéalement construit, beaucoup de joueurs n’étaient plus au niveau. En plus de son effectif, Seedorf n’était pas en très bons termes avec sa direction. Il avait des rendez-vous régulièrement pour expliquer ses choix à Silvio Berlusconi et au board. Beaucoup n’étaient pas satisfait du rythme de l’équipe et cela causera son licenciement en juin. Son 4-2-3-1 était aussi sous le feu des critiques, pas adapté à l’effectif, jugé trop ambitieux pour ce Milan. Cependant, presque 4 ans plus tard, aucun coach n’a pris plus de points par match que lui lors de cette saison. Une expérience pas si mauvaise non ?
“Clarence ? Un type très spécial, qui adore parler et débattre pendant des heures. » Rafa Alkorta
Avant d’être un meneur d’hommes et un tacticien, l’entraîneur de football est un formateur, un éducateur et cela même au plus haut niveau. Oui même chez les A, le Mister forme des joueurs pour leur permettre d’évoluer dans un style défini. La logique de certains qui est d’imposer des entraînements et des exercices sans expliquer ni le pourquoi ni l’utilité aux joueurs est souvent voué à l’échec. Le Depor va trouver un coach totalement à l’opposé de ça. Clarence Seedorf a beaucoup d’idées, beaucoup d’ambition et surtout une volonté sans faille au moment d’expliquer ses choix. Il aime parler foot et débattre. C’est dans cela qu’il prend son pied. Une qualité de plus en plus rare, compilée avec une science tactique importante et une connaissance du football majeure font de lui un profil rare. Malgré sa faible expérience, le CV est intéressant.
Une envie de coacher
Pourquoi un joueur de son rang, avec une qualité certaine et une réputation mondiale finit chez le 18e de Liga en milieu de saison ? Parce que les places sont chères et que c’est de plus en plus compliqué de voir arriver de nouveaux profils dans la caste des entraîneurs. Depuis son départ de Shenzen il y’a plus d’un an, Seedorf est envoyé un peu partout. Au Maroc, au Brésil, en Espagne, en France, en Italie : dès qu’un poste est vacant son nom sort… mais jamais rien d’officiel. Même là, chez la 18e de Liga, Seedorf n’était pas le premier choix. Il a les dents longues mais il est très clairement le 3e choix du club galicien. Une décision contrainte mais qui peut s’avérer efficace et qui change des habitudes, bien que ça reste surprenant à cette époque de l’année.
« Nous recherchons du leadership » Tino Fernandez, Président du Depor
Malgré son CV et ses connaissances, Seedorf semble avoir été choisi davantage pour son passé de footballeur que pour son présent d’entraîneur. Lors de sa présentation, la direction du Depor a beaucoup parlé de leadership, d’aura, de titres, de renommée sans jamais aborder ou presque le jeu et le projet. C’est un des plus grands soucis en Espagne et dans beaucoup de clubs de segunda tabla : le manque de vision à long terme. Avoir un projet est fondamental pour permettre à un club de grandir et éviter les déconvenues importantes. Cela ne protège pas de tout, mais cela immunise contre beaucoup de désagréments. Cette logique de projet à moyen terme est totalement absente au Depor. Que ce soient les recrutements ou les choix des coachs, tout est fait sans lien, sans logique, sans réflexion globale. Tout n’est pas à jeter mais il faudra de sacrés ajustement pour revoir la lumière et croire en un maintien qui semble s’écrire plus que jamais en pointillé.
Un effectif qui peut prétendre à mieux
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Le Depor n’a pas le meilleur effectif de Liga, mais a clairement un groupe qui doit prétendre à mieux qu’à une 18e place. Seedorf a assez de qualité pour mettre en place un jeu un peu ambitieux porté sur l’offensive et même la possession. Même s’il est loin d’être un fervent admirateur de la verticalité, pour lui, la possession du ballon doit déboucher sur une situation offensive. Il n’est pas de ces entraîneurs qui gardent le ballon pour se protéger et non pour attaquer. Sous ses ordres, il a un joli trio offensif avec Florin Andone, Adrián et Lucas Pérez. Au milieu de terrain, Guilherme et Celso Borges ne sont pas des peintres. Si on rajoute en ailiers Fede, Gil, Bakkali et Çolak en 10, l’effectif tient plus que la route. Défensivement ,c’est aussi plutôt intéressant. La charnière Schar-Sidnei est complémentaire et se connaît bien. Juanfran et Luisinho sont des valeurs sûres de la Liga sans être des tops à leurs postes. Globalement, Seedorf a de la matière. Ce qu’il lui manque ? De la confiance et un cadre pour pouvoir s’épanouir. Ni Pepe Mel ni Cristóbal Parrolo n’ont été capables de les créer.
Du pain sur la planche
Premier coach Néerlandais en Liga depuis 2008, Clarence Seedorf n’arrive clairement pas en terrain conquis. Même si son CV et son passé de joueur plaident pour lui, l’Espagne n’est pas une terre hospitalière pour les joueurs devenus coach sans expérience, Zinedine Zidane faisant office d’exception. L’afición du Depor est perdue entre déception et peur de l’avenir. Sur le papier, Seedorf peut faire progresser l’équipe. Il a le profil qu’il faut, par son côté pédagogue et sa volonté de mettre les joueurs dans les meilleures conditions. Il veut au maximum décharger les joueurs des pressions extérieures pour en tirer le meilleur. L’homme aux 3 C1 avec 3 clubs semble avoir le bagage tactique et mental pour aller au bout de sa mission. Cependant, pour réussir cela il faut du temps et il en manque grandement. Son discours semble vraiment déconnecté de la réalité du Depor. Ses ambitions à long terme paraissent en inadéquation avec les objectifs à court terme du club galicien. Néanmoins, il pourrait avoir appris de ses erreurs au Milan et donc réussir à mettre un peu de côté sa volonté de jouer à tout prix pour sauver les Blanquiazuiles. Une décision qui pourrait lui permettre d’enfin vivre une pré-saison en tant que coach et de pouvoir lancer un projet à moyen terme. Il est temps.