Luis Aragonés, la légende de Zapatones

Atlético En avant Retro

Le 1er février 2014, l’Espagne perdait Luis Aragonés. Buteur et entraîneur légendaire de l’Atlético de Madrid, parfois très caractériel, « Zapatones » est l’homme qui a amorcé le cycle historique de la Roja et révolutionné le football espagnol.

« Pour moi, dès le premier jour où je l’ai connu, il a toujours été un référent absolu ». Ce 1er février 2014, dans les colonnes d’El País, Xavi Hernández rend hommage à Luis Aragonés qui vient de décéder. Aragonés-Xavi : LE duo qui a fait de la Roja une machine à gagner deux Euro et une Coupe du Monde et mis un terme à l’utilisation ce surnom qui lui collait tellement à la peau : la championne du monde des matches amicaux. « Je crois que c’est l’entraîneur avec lequel j’ai passé le plus d’heures à parler de football. Je montais dans sa chambre et nous parlions des heures, parfois du style « c’est ça la clef, Xavi, savoir à quoi nous jouons », toujours sur l’importance d’assembler les bons sur le terrain et aussi sur l’importance de n’avoir peur de personne, d’aucune équipe, qui pour la plupart courrait plus. « Vous et moi savons que le ballon court plus vite qu’eux. Et que nous le touchons mieux qu’eux », me disait-il ».

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Grande gueule, parfois dans l’excès (en France, son « noir de merde » pour parler de Thierry Henry à José Antonio Reyes est plus connu que ses succès et son empreinte sur le football), Luis Aragonés a révolutionné la Roja et même, n’ayons pas peur des mots, le football tout entier. Xavi poursuit : « Luis a été fondamental dans ma carrière et dans l’histoire de la Roja. Sans lui, rien n’aurait été pareil. Impossible. Il m’a fait me sentir important quand mon estime de moi-même était désastreuse. Il m’a donné les commandes de la Selección alors que je ne les avais pas au Barça. « Ici, vous dirigez », me disait-il. C’est avec lui que tout a commencé, parce qu’il a rassemblé tous les petits : Iniesta, Cazorla, Cesc, Silva, Villa. Avec Luis, nous avons fait la révolution, nous avons échangé la furia contre le ballon et nous avons montré au monde qu’on pouvait gagner en jouant bien. « Je vais mettre les bons, parce qu’ils sont tellement bons que nous allons gagner l’Euro ». Et nous le gagnons. Il a été intelligent et très courageux ».

Emblématique

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Mais avant d’être l’homme qui a fait gagner la Roja après 44 ans de disette, Luis Aragonés alias Zapatones en référence à la puissance de sa frappe de balle, est un Colchonero, le premier buteur de l’histoire du Vicente-Calderón le 2 octobre 1966 contre Valencia. « A la 20e minute, Cardona centre depuis la droite et Luis reprend de la tête pour faire trembler les filets pour la première fois au Manzanares, témoigne le gardien Rodri dans le livre « Hasta Siempre Vicente Calderón » de Patricia Cazón. C’est la cage du virage sud et il a fait deux sauts si haut pour le célébrer que même l’herbe sous mes pieds l’a ressenti ».

Aragonés, c’est aussi le buteur de « La Casi », cette première finale de Coupe d’Europe des Clubs Champions de 1974 disputée au Heysel contre le Bayern. Dans son livre « Atleti, vivir de rojo y blanco », Raúl Jimeno Menottinto explique en quoi ce but inscrit en prolongation est chargé de symbole pour les Indios : « C’est un stigmate. La Casi, c’est ainsi que nous appelons la Coupe d’Europe que nous ne gagnons pas. La Casi, sacré drame. Nous portons collés à notre carte d’identité la photo de Luis célébrant le but qui valait un continent et le visage « auf wiedersehen » de Reina sortant le ballon de ses filets, 5 minutes plus tard. La vie est éternelle en 5 minutes. Tellement éternelle qu’elle nous a donné le temps de régner et d’être renversés. Ce furent 300 secondes de large sourire et de rêves accomplis. Nous avons fleuri en 5 minutes et en une seule, nous avons fané ». A l’époque, les tirs au but n’existent pas, la finale est rejouée et le Bayern punit l’Atlético quelques jours plus tard (4-0).

 

« Ganar, ganar y volver a ganar »

Luis Aragonés a gagné le titre de champion comme joueur (1996, 1970, 1973) puis comme entraîneur (1977), au même titre que Marcel Domingo et Diego Simeone. « L’archétype de l’entraîneur idéal de l’Atlético de Madrid, pas besoin de le chercher très loin, écrit Raúl Jimeno Menottinto. Luis est le modèle parfait. Il ne se vante pas de mensurations 90-60-90 mais son « ganar, ganar y volver ganar » (gagner, gagner et gagner de nouveau) s’ajuste à la perfection à nôtre goût exclusif. Aragonés nous a toujours taillés des costards quand nous en avions besoin. En bien ou en mal. Mais il a toujours eu un avantage sur les autres : lui est de l’Atleti. El Sabio de Hortaleza a un chromosome spécial ou beaucoup de chance, il a quelque chose qui lui a permis d’être joueur et entraîneur de l’Atlético avec le même succès. C’est l’élu ». Pour les supporters rojiblancos, Aragonés est le maître de la contre-attaque et leur meilleur souvenir reste la victoire en Copa del Rey 1992, à Santiago-Bernabéu, contre « el eterno rival ». « Personne n’a joué de meilleures contre-attaques que l’Atleti d’Aragonés, affirme Raúl Jimeno Menottinto. La preuve, c’est cette victoire en Copa remportée au Chamartín, précisément contre le voisin, Une apologie de la contre-attaque. Un poème aux battements atléticos ».

Cyclothymique

Luis Aragonés a entraîné 8 clubs espagnols tout au long de sa carrière, mais il est marqué à jamais du sceau de l’Atlético. Un club qui n’a pas toujours su lui être reconnaissant d’ailleurs. Avec l’inénarrable Jesús Gil y Gil, les affrontements furent épiques. « Zapatones » est même le tout premier Míster viré par le président, immense consommateur d’entraîneurs devant l’éternel. C’était en 1987. « Luis Aragonés est le personnage le plus transcendant de l’histoire sportive du club, un mythe comme joueur et entraîneur », écrit Ivan Castelló dans « Salvaje », une biographie de l’emblématique président rojiblanco. Luis a payé les pots cassés d’un caractère explosif et avec Gil ils se sont rentrés dedans, en le prenant par le col de la chemise ou en lui pinçant le ventre, ça dépend des versions. Les face-à-face avec Luis était pour les adultes ».

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Malgré leurs différends et leurs joutes verbales, Aragonés est revenu deux fois sur le banc rojiblanco. La première fois, l’Atleti a remporté la Copa contre le Real, la seconde fois, dix ans plus tard, les Colchoneros sont remontés en Liga. « Chaque fois que nous sommes en difficultés, le téléphone sonne. Le sien, c’est le numéro de garde pour les urgences rojiblancas, synthétise Rául Jimeno Menottinto. Nous devons être sincères et reconnaître que nous avons été injustes et que jamais nous avons eu la force de lui offrir un projet de zéro. Presque toujours, il a assumé les erreurs des autres, les opérations à la vie à la mort. L’unique fois où il a travaillé depuis rien, ce fut avec l’équipe de Segunda et il est monté. Et ça, je crois que ce n’est pas juste. Luis nous a donné des titres et une identité. C’est le prototype de l’entraîneur de l’Atleti ».

« Personnage cyclothymique » pour reprendre l’expression d’Ivan Castelló, Luis Aragonés représente plus d’un demi-siècle de football espagnol dans ce qu’il a de plus bourru, de plus extravagant et aussi de plus intelligent, ce qui pourrait être résumé en une seule anecdote. Pour la première convocation de Xavi avec la Roja, El Sabio de Hortaleza demande à Pelopo : « Vous pensiez quoi ? Que ce fils de pute de vieux n’allait pas vous prendre ? Vous n’allez pas m’arnaquer ». Le début de la plus belle page du football espagnol. Eterno Don Luis.

François Miguel Boudet
@fmboudet

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