Saoudiens en Liga, mais pourquoi tout ce foutoir ?

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À la stupeur générale, une dizaine de saoudiens ont signé dans divers clubs espagnols de première et seconde division. Mais que cachent ces mouvements aussi soudains que surprenants ?

C’est très certainement le genre de deal qui ne va pas améliorer la réputation de Javier Tebas et de la Ligue Espagnole de Balompié. Cependant, le président fait fi des critiques et reste fixé sur son objectif, à savoir, faire de la Liga le premier championnat au monde. Comme on le dit souvent, tous les moyens sont bon pour arriver à ses fins.

Un deal gagnant-gagnant ?

C’est une formule très prisée de nos amis en école de commerce, les accords gagnant-gagnant ou deal win-win. Bien que théoriquement durs à mettre en place, quand deux entités ou plus décident de se mettre à travailler ensemble, chacun doit y trouver son compte sans trop y perdre. Logique vous me direz, et vous aurez bien raison.

Adel M. Ezzat , président de la SAFF (Saudi Arabian Football Federation), a noté que « cet accord va permettre à des recruteurs et des entraîneurs de la Liga de venir en Arabie Saoudite pour superviser les meilleurs joueurs. Quelque chose qui pour les joueurs de l’équipe nationale est une excellente nouvelle »

Et cet accord entre la Liga, la fédération saoudienne et l’entité qui gère le foot dans le royaume est sur le papier un accord gagnant gagnant. Le royaume saoudien envoie ses meilleurs éléments dans un championnat connu et reconnu avec pour objectif la préparation de la Coupe du Monde 2018. Conclu après une réunion au Portugal en novembre et sous fond d’achat par le royaume saoudien des droits TV de la Liga, cet accord est piloté directement par le prince héritier Bin Salman. Le but premier de ce deal est le développement tactique des joueurs et de leur permettre de se confronter au très haut niveau. Les Saoudiens s’exportant peu, ce genre de partenariat peut permettre à la Ligue saoudienne d’attirer des scouts et de se mettre en lumière. Surtout si un ou plusieurs joueurs envoyés en éclaireur durant ce mois de janvier parviennent à se faire remarquer.

Mais que gagne la Liga ? En premier lieu, de l’argent, bien sûr mais pas que. Chaque club va toucher entre 1 et 5 millions d’euros en accueillant un joueur saoudien dans son effectif. La contrepartie ? Pas grand chose, les clubs ont simplement l’obligation de faire participer le joueur prêté aux entraînements du groupe pro. Pas de temps de jeu minimal obligatoire ou autre clause ajoutée dans les deals. La ligue présidée par Tebas va sûrement ramasser un peu d’argent dans les opérations même si rien n’a filtré pour l’instant. Javier est un fin négociateur, on ne se fait pas de soucis pour lui.

« Le football est le sport le plus populaire en Arabie saoudite, et grâce à la Fédération saoudienne de football, nous sommes heureux de donner cette chance aux jeunes talents du pays pour atteindre leurs objectifs et jouer au football au plus haut niveau possible. Notre objectif à long terme est de stimuler le football, d’augmenter son niveau dans le royaume et créer une nouvelle génération de footballeurs » Turky Al-Alsheikh , président de la General Sports Authority

Cependant ce n’est pas qu’un deal purement financier qui s’est conclu entre le royaume saoudien et la Liga. Toujours dans sa logique de valoriser son produit à l’étranger, Tebas se rapproche ouvertement d’un marché assez friand de Liga. De plus, l’autorité qui s’occupe du sport en Arabie Saoudite obtient le droit d’ouvrir des écoles de football au nom de la ligue espagnole. Là aussi, tout le monde y trouve son compte. Après avoir exporté sa science de la formation et post-formation en Chine, l’Espagne prend de l’avance dans un second pays qui a des ambitions à long terme. Rien ne dit qu’un futur top passera par une de ses écoles, mais la Liga surveille ce marché, et c’est une très bonne chose.

Fierté en Arabie Saoudite, stupeur et inquiétude en Espagne

Globalement même si la communication officielle parle de clubs concertés en amont, de joueurs scoutés ou autres facéties en tout genre, la réalité est tout autre. Entre des clubs qui ne connaissent par le nom de leur recrue (cf le Sporting) ou une photo officielle commune officialisant les divers prêts, tout semble orchestré de bien plus haut, et c’est le cas.

Pour pas mal d’observateurs de la Liga, la ligue ne sort pas grandie de cet accord. La Fédération a par exemple dénoncé une omnipotence de la Ligue qui impose ses choix aux clubs. Un sentiment qu’on retrouve chez pas mal de groupes de supporters regardant ces arrivés avec stupéfaction ou tel un symbole du trop grand pouvoir de Javier Tebas. Les Bukaneros, célèbre groupe de supporter du Rayo, club qui accueille un saoudien, ont déjà communiqué sur ce transfert, eux qui avaient déjà accueilli un joueur chinois au Rayo grâce/à cause d’un partenariat avec une entreprise chinoise. On peut rajouter la mise en garde formulée par l’AFE, le syndicat des joueurs, sur l’aspect néfaste de ce genre d’accord sur le développement des footballeurs espagnols.

De l’autre côté de la méditerranée, au Moyen-Orient et en Arabie Saoudite ces départs sont globalement vus comme une bonne chose. Cette jeune génération qui semble avoir pas mal de talent a une chance unique de pouvoir faire le grand saut en Europe et de préparer au mieux la CDM 2018.

Et les joueurs dans tout ça ?

Inconnus ou presque en Europe, les Saoudiens envoyés en éclaireur en Liga ont de solides références au pays et dans la région. De plus, ils ont tous soit une expérience internationale déjà conséquente ou un rôle à jouer à l’avenir en sélection. Compliqué de faire un portrait type des recrues, mais c’est à peu près tous des joueurs offensifs, entre 23 et 27 ans pour ceux qui rejoignent les équipes A (d’autres rejoignent aussi des réserves) des clubs. Ils ont des physiques assez similaires aussi, plutôt petits et mobiles. La plupart ont une très bonne vitesse et une bonne technique.

Par exemple, Al Muwallad, transfuge de Levante compte près de 40 sélections en A, 123 matchs en pro et 15 matchs de l’AFC Champions League à 23 ans, ce qui est pas mal sur le papier. Même ceux arrivant en Segunda ne sont pas des inconnus, Al Sulhaiheem malgré aucune sélection en A, compte déjà 90 matchs en pro et 4 matchs de LDC asiatique.

La recrue la plus excitante dans le lot est le deuxième joueur le plus âgé du groupe. 26 ans, connu en Asie pour sa vitesse incroyable, le virevoltant Al Dawsari arrive à Villarreal. Dans un secteur offensif qui a perdu Bakambu, le saoudien peut sortir son épingle du jeu, Unal n’étant pas indiscutable et Roger Martinez pas au top physiquement. Le Saoudien est encore loin d’être un indiscutable en sélection cependant. On notera l’arrivée du meneur de jeu de poche Al Sehri à Leganes. Lui aussi arrive avec une certaine côte au pays, 37 sélections en A, il culmine à 4 buts et 6 passes en 16 matchs de championnat cette saison.

Un accord qui fait sens

Avec cet accord, la Liga et Tebas montrent plusieurs choses : même si le futur marché important pour le football est la Chine, il ne néglige aucun continent et continue de flatter les « historiques ». De plus il accélère l’internationalisation de la Liga. Peu de suiveurs attentifs de la Liga sont emballés par l’idée mais Tebas veut exporter son produit partout.

Adolfo Bara, directeur des ventes de La Liga, déclare: «Nous ne sommes pas seulement la meilleure ligue au monde, nous sommes aussi la plus populaire au Moyen-Orient. Cet accord entre GSA, SAFF et La Liga va sans aucun doute nous permettre de découvrir de grands talents en Arabie Saoudite et nous permettre de nous rapprocher encore plus de nos fans dans la région« 

Les matchs à 12h, les sponsors maillot en chinois ou l’entrée d’investisseurs étrangers dans le capital de pas mal de clubs étaient un bon début, et il continue dans cette voie avec ce deal. Tebas est quelqu’un de borné, et il met tout en ordre pour arriver à ses fins, organiser un match de Liga à l’étranger et dépasser la BPL. Ce genre d’accord va totalement dans ce sens.

Cependant, par le passé, des accords de ce type ont été tentés avec peu de réussite. Dans une histoire très récente, on pourra parler des U23 envoyés dans les basses divisions allemandes ou les Chinois en D2 portugaise. Un échange de bons procédés qui pourrait à l’avenir intéresser le Qatar si cela se fini mieux aussi. La vraie question à cet instant est de savoir si les clubs espagnols joueront le jeu et laisseront leur chance aux joueurs prêtés. C’est la seule condition pour que ce deal soit une réussite, mais c’est mal embarqué sur le papier.

Benjamin Bruchet

@benjaminB_13

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