Alain Roche : « Quand on a gagné la Copa del Rey avec Valencia, on a été traité comme des vainqueurs de la Coupe du Monde »

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International français (25 sélections) passé par l’OM, les Girondins de Bordeaux, Auxerre et surtout le PSG où il a notamment remporté feu la Coupe des Coupes en 1996, Alain Roche s’est exilé deux saisons en Espagne, à Valencia. L’ancien directeur de la cellule du recrutement parisien s’occupe désormais de FanLive, une application qui permet, grâce à vos connaissances footballistiques, de remporter des lots chaque mois. Le défenseur central nous a accordé un peu de son temps pour revenir sur ses souvenirs blanquinegros marqués par une victoire en Copa del Rey en 1999, le coaching de Claudio Ranieri et Héctor Cúper, l’éclosion de Gaizka Mendieta et une expérience de vie inoubliable.

¡Furia Liga ! : Vous avez joué 2 ans à Valencia, entre 1998 et 2000. Que gardez-vous de votre expérience chez les Blanquinegros ?

Alain Roche : Une magnifique expérience en termes de football mais aussi de vie. Pour le bien-être d’un joueur, on ne peut pas dissocier la vie sportive de la vie familiale pour qu’il puisse s’exprimer du mieux possible. J’ai passé deux ans exceptionnels, mes enfants et ma femme aussi. Ça a été un crève-coeur de partir de Valencia. J’ai toujours regretté d’y être allé un peu tard. C’était tardif mais intense.

Vous avez connu de très grands clubs en France (l’Olympique de Marseille, le Paris Saint-Germain et les Girondins de Bordeaux), vous étiez international, élu joueur de l’année en 1992 par France Football. Ce statut que vous aviez en France, vous l’avez conservé en arrivant en Espagne ?

Non, pas du tout. J’ai failli partir plusieurs fois à l’étranger, surtout en Italie. Mais j’ai eu des blessures à ces moments importants (notamment une au genou en 1995, ndlr) et je n’ai pas fait la bascule. Quand je suis arrivé en Espagne, je n’étais plus international depuis l’Euro. Le Paris Saint-Germain baissait de niveau. L’Espagne ne s’intéressait pas au football français, sauf quand le PSG affrontait le Real Madrid ou le Barça. Donc je n’étais pas connu en arrivant à Valencia, du moins je ne le crois pas. Si j’avais joué la Coupe du Monde ça aurait été le cas. Et même quand vous avez un statut, il faut toujours se battre pour gagner sa place et être accepté par le reste du groupe.

Quand vous signez à Valencia, le PSG est dans une phase plutôt descendante et vous arrivez dans un club qui entame le meilleur cycle de son histoire. Votre entraîneur s’appelle Claudio Ranieri.

J’arrive à Valencia parce que je savais que c’était un club avec un passé prolifique mais qui n’avait rien gagné depuis très longtemps (1980 et les victoires en C2 et en SuperCoupe d’Europe, ndlr). Je viens pour m’imposer et gagner des titres mais je ne savais pas que ce serait le début d’un superbe cycle pour un club qui le méritait amplement. Quand je signe, je sais que l’entraîneur est italien et qu’il y a 7 nationalités avec les arrivées de 10 ou 11 joueurs. Il y avait beaucoup d’incertitudes. Valencia était prioritaire pour moi parce qu’il y avait une école française et c’était important de faire ce choix-là. S’il n’y avait pas eu d’école française je ne sais pas si j’aurais signé. Il fallait que ma famille soit bien. Le club était important aussi mais ce n’était pas la priorité. J’étais parti de France pour découvrir un autre championnat dans un club avec un passé mais qui n’avait pas fait grand-chose depuis un moment.

Valencia est une ville plutôt rassurante, surtout quand on a des enfants. Ce n’est pas forcément la grande ville comme peut l’être Madrid ou Barcelone.

Ça ne m’inquiétait pas. Et puis, quand on a vécu à Paris, on peut vivre dans le monde entier. Après, la plupart des joueurs ne vivent pas en ville mais dans les alentours, à profiter des bons moments de la vie. J’avais fait le tour du football français, l’opportunité s’est présentée et je l’ai saisie. En revanche, je ne m’attendais pas à une telle qualité de vie. Je savais qu’il faisait beau, qu’il faisait chaud, qu’il y avait du public mais je ne pensais pas que ma vie quotidienne serait aussi agréable. J’ai fait de belles rencontres, malgré une blessure importante lors de ma deuxième année. Je l’ai plutôt bien vécu parce que le soutien était présent et surtout le cariño, l’affection du public était incroyable.

Ranieri avait des facultés d’adaptation, ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle le bricoleur

C’était quoi les entraînements de Ranieri ?

Très tactique. Avec beaucoup de talents individuels. Des joueurs ont explosé à ce moment-là, comme Gaizka Mendieta, Miguel Angulo et Francisco Farinós. On a beaucoup travaillé tactiquement. Et puis du travail physique, comme beaucoup d’Italiens le font. Je pense que beaucoup de monde n’était pas habitué à ce genre de choses. Tactiquement, on s’est souvent retrouvé à faire des jeux sans ballon, avec des chasubles dans les mains pour coordonner les déplacements. Ça, c’était surtout en début de saison. L’intelligence de Ranieri, c’est qu’il a su évoluer tout au long de la saison. Il a pris en compte les critiques des uns et des autres. A un moment, quand on était en difficultés, il a tout axé sur les jeux. Il a eu cette intelligence d’adaptation par rapport à son équipe et ses joueurs. Il a besoin de parler, d’être dans la séduction. Avec la presse, on l’a vu… il continue à l’être (rires). Il était beaucoup plus fougueux à l’époque, capable de s’agacer à la mi-temps et de nous engueuler alors qu’on faisait un bon match. Il savait s’enthousiasmer aussi. Il était plus jeune et… plus tendu par moments. Maintenant, il s’agace peu ou différemment.

La réputation des entraînements en Espagne, que ce soit en Liga mais aussi en Segunda et Segunda B, c’est que tout passe principalement par le ballon. Ranieri s’est conformé à ça ?

Il est arrivé dans une équipe avec 11 joueurs de 7 nationalités qui arrivent. Il faut coordonner tous ces gens-là avec les Espagnols. Il a fallu travailler tactiquement pour qu’il trouve sa structure d’équipe, nous faire travailler ensemble, nous faire jouer ensemble. Il fallait une base de travail. On l’a fait en début de saison et on l’a fait régulièrement. Moi j’ai commencé à connaître le travail individuel à travers des groupes en fonction des postes, avec les défenseurs d’un côté à travailler des courses qui correspondent à ce que vous faites sur le terrain, pareil au niveau collectif. C’était une nouvelle façon de travailler qu’il a fallu ingérer, digérer aussi par moments parce que ce n’était pas simple physiquement. Mais on était prêts, on avait confiance en nous et dans les moments de doutes on a arrêté la tactique et le physique pour faire de la technique avec des jeux très courts, dans les petits espaces et on retrouvait la confiance. Ranieri avait des facultés d’adaptation et ce n’est pas pour rien qu’on l’appelle le bricoleur.

Au cours de votre carrière, vous avez eu des entraîneurs latins comme Artur Jorge ou Luis Fernández par exemple. Ça ne vous a pas changé du coup quand vous êtes arrivé en Espagne ?

Artur Jorge, il est peut-être latin mais pas de culture latine. C’était plutôt à l’allemande (rires). Avec Artur Jorge, c’étaient des entraînements longs, pas ludiques, on se faisait chier. C’était sa façon d’être et de faire. On n’était ni dans la liberté ni dans le jeu. Mais il ne faut pas croire que tous les entraîneurs veulent que leur équipe bétonne. Ils veulent qu’elles jouent. S’ils pouvaient faire jouer comme le Barça tout le monde le ferait. Après, ils font en fonction ce qu’ils ont à disposition, c’est toujours pareil. Certains sont capables de faire mieux jouer un type de joueurs plutôt qu’un autre. Et puis certains n’arrivent pas à aligner les performances. Ils peuvent avoir de très bons joueurs mais n’arrivent pas à les faire travailler ensemble.

Dans la maison de Paco Camarasa, il y avait des arènes, on avait sorti les vachettes ! Aux Fallas, on s’était habillé avec les costumes traditionnels

A Valencia, vous côtoyez en défense une légende : Amedeo Carboni. Il y a 10 ans, lors de sa dernière année, Miguel Mista, Jorge López et Santiago Cañizares ont trouvé un pistolet chargé dans son casier. Il était un peu borderline ?

Alors ça, je n’en sais rien. Carboni, je ne le connais pas comme ça. Ce serait même le contraire. Quand Carboni avait quelque chose à dire, il le disait. C’était un leader et un excellent joueur de foot. Ce n’était pas un garçon menaçant, bien au contraire. Il avait du caractère, on l’a tous vu sur le terrain, il a pris quelques cartons rouges. Mais cette histoire, je ne sais pas d’où ça vient. (Elle est véridique, ndlr).

Vous avez également côtoyé Jocelyn Angloma. Ça a facilité votre intégration dans l’équipe ?

On se connaissait de l’Équipe de France mais ce n’est pas parce qu’il y avait Angloma que je suis toujours resté avec lui pour parler français. La première chose à laquelle nous nous sommes astreinte avec ma femme, c’est d’apprendre l’espagnol. Comme elle est Portugaise, ça lui a été plus facile mais moi il a fallu que je travaille pour m’incorporer à la culture espagnole. Par exemple, j’ai fait toutes les fêtes de villages de la région de Valencia parce que j’étais très proche de Paco Camarasa qui a fait toute sa carrière au club et que tout le monde connaissait. Je me souviens que dans sa maison où il avait des arènes, on avait sorti les vachettes ! Pour les Fallas, on s’était habillé en costumes traditionnels, les enfants étaient montés sur les chars. C’était incroyable ! J’ai adoré tous ces moments-là. Et même si je ne parlais pas très bien espagnol, je me suis intégré à cette culture.

Ce n’est pas toujours évident pour un joueur d’envisager les choses ainsi. Par exemple, Aymen Abdennour est resté deux saison à Valencia sans apprendre la langue. 

Alors ça, je ne comprends pas. Ça m’insupporte. C’est toi qui doit t’adapter à ton environnement. Il faut faire des efforts, à l’image de Carlo Ancelotti quand il est arrivé en Espagne ou comme Pep Guardiola quand il est arrivé au Bayern. Ça passe aussi par là. Ce n’est pas normal que quelqu’un comme Leonardo Jardim n’arrive pas encore à parler correctement le français, surtout quand on voit la capacité de certains Brésiliens qui le parlent au bout de 6 mois. Pour en revenir à Carboni, on avait des enfants du même âge, il est Italien et moi Français, on parlait forcément en espagnol.

Crédits : gettyimages

Le Valencia CF remporte la Copa del Rey en 1999. Comment s’est passée la réception de l’équipe par l’afición ?

En 1998, l’Équipe de France remporte la Coupe du Monde avec des joueurs que j’ai côtoyé pendant 4 ou 5 ans, alors imaginez ma déception. En plus, je regarde la finale à la ciudad deportiva et dès que le match s’est terminé, ils ont coupé la télé. Tout ça pour dire que quand on a gagné la Copa del Rey, on a été traité comme des vainqueurs de la Coupe du Monde. Moi qui ai gagné pas mal de titres en France (3 championnats, 5 Coupes de France, 2 Coupes de la Ligue, ndlr), je n’avais jamais vu ça. Cette ferveur, c’est ça l’Espagne. Le sport est culturel chez eux. On va aux matches en famille. C’est une approche différente de la France.

Après avoir gagné la Copa, on rentre à l’aéroport un dimanche, on est accompagné par pleins de voitures. Avant d’aller au stade, on est allé voir la Vierge. La place pour aller à l’église était gavée de monde, il a fallu se frayer un passage, c’était fabuleux. Vous êtes vraiment dans un autre monde. Le premier jour où vous arrivez, l’équipe fait une offrande à Vierge et on y retourne quand on gagne un titre. Et puis à Mestalla il y avait 60.000 personnes présentes alors qu’il n’y avait pas de match ! C’était juste pour célébrer les joueurs ! C’était incroyable. Et puis une chose que j’aime en Espagne, c’est qu’on se souvient des gens alors qu’en France, c’est tout le contraire, on se soucie très peu de ce qui s’est passé avant. Ça fait 2 ans que je ne suis pas allé à Valencia mais la dernière fois on m’a reconnu. Ce n’est pas pour flatter l’ego mais on a gagné un trophée alors que le club n’avait rien remporté depuis 20 ans et on a laissé un souvenir.

Des portraits de légendes du Valencia CF ont été accrochés sur les murs de Mestalla depuis quelques années. Est-ce que cette façon de rendre hommage aux joueurs qui ont forgé l’institution est aussi forte en France ?

Il y a des clubs qui le font très bien, comme l’Olympique Lyonnais et Bordeaux. Le PSG a mis des photos aussi tout autour du Parc des Princes, même si les nouveaux dirigeants n’ont pas l’air de se soucier de ce qui s’est passé avant. Mais au-delà d’afficher des images, c’est respecter tous les anciens.

Vous avez une particularité : vous avez inscrit un doublé contre le Real Madrid et ça n’a pas dû arriver à beaucoup de Français !

Surtout pour un défenseur (rires) !

Au-delà de cette victoire mémorable (6-0), l’équipe était incroyable avec Piojo López, Goran Vlaovic, Gaizka Mendieta…

On avait une équipe homogène avec une des défenses les plus vieilles d’Europe puisque Jocelyn Angloma, Miroslav Djukic et Amedeo Carboni avaient 32-33 ans et moi 30, et un des milieux les plus jeunes d’Europe avec Francisco Farinós, Miguel Angulo et Gaizka Mendieta. Il ne fallait pas que Luis Milla joue sinon la moyenne d’âge remontait (rires). Et puis devant Piojo López a fait beaucoup de mal à de nombreuses équipes comme le FC Barcelone.

Au-delà de leur technique, Farinós, Angulo, Mendieta affichaient la grinta, cette envie de réussir

La saison qui suit la victoire en Copa del Rey, Claudio Ranieri part et Héctor Cúper arrive de Mallorca auréolé d’une finale en Coupe des Coupes. Son approche du football était différente de celle de l’Italien ?

Rien à voir ! Cúper était beaucoup plus renfermé que Ranieri, presque asocial. Il ne s’intéressait pas beaucoup aux gens une fois sorti de son XI titulaire. Il n’y avait pas le même feeling. Ils étaient très différents. Mais ça n’a pas empêché Cúper d’avoir d’excellents résultats puisqu’il a fait deux finales de la Ligue des Champions. Et ce n’est pas parce que j’ai peu joué sous ses ordres que je lui en veux. J’ai été blessé, ce n’est pas de sa faute non plus. Ce n’est pas le genre d’entraîneur qui m’attire parce que le côté humain est un peu délaissé. C’est son style. Ranieri était plus dans le charme.

Lors de cette saison, vous avez été blessé. Comment ça se passait comment en interne ? Le suivi était différent de ce que vous aviez connu en France ?

Non, ça se rejoint. J’ai consulté des spécialistes en qui j’avais confiance en France et puis on m’a orienté vers le Docteur Cugat grâce à qui j’ai pu poursuivre ma carrière encore 3 ans. Je suis allé à Barcelone, il m’a dit que ce n’était pas grave, qu’on allait me soigner sans opération et ça a été le cas. Il travaille très bien.

Le Docteur Cugat est très réputé dans le milieu. Énormément de joueurs vont le consulter. Il a quoi de particulier ?

Il fait les bons diagnostics. On m’avait dit que je devais arrêter ma carrière et lui m’a dit « ce n’est pas bien grave, voilà ce qui se passe au niveau des cartilages, on va faire des tests, te soigner de telle manière, faire des soins particuliers, tu vas travailler et tu vas revenir sans intervention ». Ce qui distingue le Docteur Cugat, c’est l’analyse. Il est rassurant et c’est pour ça que les sportifs l’apprécient. J’avais eu une rupture des ligaments croisés en 1995. J’ai forcé, les cartilages étaient toujours sous tension, j’avais des inflammations chroniques, le genou gonflé. Il m’a fait des semelles adaptées pour jouer. Des fois, ça ne se joue à pas grand-chose.

A Valencia, vous avez assisté à l’éclosion de jeunes joueurs. Qu’avaient-ils de particulier ?

Une grande confiance en eux. Farinós, Angulo, Mendieta, au-delà de leur technique, c’est la grinta qu’ils affichaient, cette envie de réussir. Ils donnaient tout sur le terrain. Mendieta courrait je ne sais pas combien de kilomètres par match, Farinós n’avait peur de rien. Ils ne se reposaient pas que sur leur technique. Et puis les associations et complémentarités font que les joueurs progressent. Après ils sont partis (l’Inter pour Farinós, la Lazio pour Mendieta, ndlr), ça s’est moins bien passé parce que, quand vous venez d’un certain endroit où on est bien, la transition peut être délicate surtout en Italie où les aspects physiques et tactiques étaient très différents.

Cette confiance, cette insouciance, elle éclate aux yeux de tous quand Gaizka Mendieta inscrit ce but exceptionnel en finale de la Copa del Rey contre l’Atlético. 

Il en a marqué quelques beaux, notamment contre le Barça et le Real Madrid mais c’est vrai que celui-là est magnifique. Et puis surtout, il le met en finale et ça à Valencia tout le monde s’en souvient !

Propos recueillis par François Miguel Boudet
@fmboudet

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