Mardi 26 septembre, la Guardia Civil a arrêté Alexander Grinberg, président du Marbella FC (Segunda B). Avec dix autres personnes, il est soupçonné d’activités criminelles au sein de la mafia russe. Après les matches arrangés à Eldense la saison dernière, ce nouveau scandale rappelle que les petites divisions espagnoles sont le théâtre de magouilles en tous genres.
La scène se passe le lundi 25 septembre dans un restaurant de Marbella, au bord de la Costa del Sol si prisée des touristes, des sportifs et des stars bling bling. La veille, le Marbella FC a battu le Las Palmas Atlético, l’équipe B des Pio Pio. Devant les joueurs, le staff et la direction, le président Alexander Grinberg lève son verre et, résolument optimiste, lance : « Nous allons mettre cette ville et ce club là où ils le méritent : en Primera ! ». Mais du ballon de blanc au ballon tout court, le chemin est parfois court.

Seize heures plus tard, la Guardia Civil lance l’opération « Oligarkh » et le coffre dans le cadre d’investigations sur des activités criminelles au sein de la mafia russe. Le multi-millionnaire russe est principalement visé par une enquête sur du blanchiment d’argent, à hauteur de 30M€. Propriétaire du Marbella FC depuis 2013, soit 5 ans après son arrivée en Andalousie, Grinberg a beaucoup investi sur la Costa del Sol, comme bon nombre de ses compatriotes fortunés.
Marbella, terre de corruption généralisée
Si le vieux Marbella et une partie du port de pêche ont été épargnés, le reste du littoral a été consciencieusement saccagé depuis plus d’un demi-siècle. La ville andalouse est un terreau fertile pour tout ce qui est corruption et construction sauvage. Ancien président de l’Atlético de Madrid, Jesús Gil y Gil en a été le maire de 1984 à 2002. Jusqu’à son décès en 2004, il a fait construire plus de 30.000 logements, dont 85% dans l’illégalité la plus parfaite. Poursuivi pour corruption, il a été contraint à la démission. Ses successeurs, Julián Muñoz et Marisol Yagüe, ont été impliqués dans l’affaire Malaya, un des plus gros scandales de corruption, ricochet de l’opération Ballenas blancas (baleines blanches) qui a démantelé un vaste réseau de blanchiment d’argent en 2005. En 2006, la mairie a carrément été dissoute ! Bref, la densité d’embrouilles au mètre carré est l’une des plus élevées d’Europe.
Eibar comme modèle

En apparence, Alexander Grinberg n’est pas complètement le portrait-robot du nouveau riche propriétaire d’un club de foot. Au contraire : son modèle c’est… Éibar ! Chaque euro investi dans le Marbella FC doit l’être à propos. L’époque est même à la chasse au gaspillage pour assainir les finances et relancer le club. Les Andalous viennent de retrouver la Segunda B (3e division) et sont actuellement 9e du Groupe IV, à 2 points de la zone du barrage d’accession. Par ailleurs, le MFC est devenu une S.A.D (société anonyme sportive, ndlr), la cantera compte désormais près de 400 joueurs et une équipe féminine a été créée. « D’aspect et de caractère sage, éduqué, proche, conciliateur, tranquille, amoureux de Marbella et des alentours, Grinberg avait et a l’afición dans sa poche », écrit Julio Rodríguez dans les colonnes de Diario Sur. En novembre 2015, le Russe dévoilait les grandes lignes de son mode de fonctionnement : « Nous voulons monter en Segunda mais rien ne presse, expliquait-il dans la revue Vanitatis (groupe d’El Confidencial, ndlr). C’est mon rêve mais mes valeurs sont le sens commun et avoir les pieds sur terre. Que personne ne s’attendent à du gaspillage et des dépenses, parce que je crois seulement qu’il faut travailler dur chaque jour. C’est ainsi que j’ai bâti tout ce que j’ai ».
Le Marbella FC, une carte de visite parfaite pour le business occulte
La face B est nettement moins idyllique. Un club de football, surtout discret pensionnaire d’un championnat de division inférieure, peut devenir une jolie base arrière pour différents trafics. Dernier exemple en date en Espagne : Eldense. En avril 2017, le petit club de la Communauté Valencienne avait perdu 12-0 contre le Barça B. Il est apparu que plusieurs joueurs avaient été convaincus par leurs propres dirigeants, membres d’une organisation criminelle italienne, de lever le pied au cours de plusieurs rencontres. Avant Eldense, ces mêmes personnes avaient tentés le coup à Jumilla, sans succès.

Avec le Marbella FC, la situation est encore pire. Alexander Grinberg en est devenu le président grâce à un certain Germán Pastuschenko, vice-président, et également mis en détention après le coup de filet de la Guardia Civil. Au moment du rachat, le club est surnommé « le Spartak de Marbella », rapport à l’équipe que supporte Grinberg. Le magnat de 48 ans partage sa vie entre Moscou et Marbella et la rumeur rapporte qu’il posséderait déjà la moitié de la cité balnéaire. Dès le début de la saison 2015-2016, le projet de création d’une cité sportive devient une réalité avec les premiers coups de pelles. Il semblerait que le permis de construire de cette Ciudad Deportiva soit vicié et que les capitaux proviennent de revenus illicites. Évidemment, le club voit passer épisodiquement des joueurs russes et baltes. En réalité, le Marbella FC était une couverture pour Grinberg afin de faciliter son business et accéder plus facilement à des responsables politiques et des entrepreneurs locaux. Une société d’embouteillage d’eau aux abois (la Aguas Sierra de Mijas) et un club de golf (Dama de Noche) ont également servi de prête-noms.
Le plus extraordinaire dans cette histoire, c’est que ce sont deux bandes mafieuses rivales en Russie qui se sont associées en Espagne ! Les ramifications mèneraient à Semion Mogilevich, un des mafieux russes les plus puissants au monde et activement recherché par la justice américaine depuis 2009. Une nouvelle fois donc, le football espagnol est éclaboussé par un nouveau scandale lié à la grande criminalité. Les afflux de capitaux troubles ne touchent pas prioritairement les grands de Liga mais bien des clubs exsangues et au bord de la faillite. Les institutions sportives doivent être les premiers garde-fous pour protéger aussi bien les joueurs que la réputation des divisions inférieures espagnoles, souvent victimes d’affaires de corruption à grande échelle.
François Miguel Boudet
@fmboudet
Crédits photo en une : vanitatis.elconfidencial.com