Bernabéu, Vallecas & cie, un tour des cinq stades de Madrid par les mots

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La Communauté de Madrid compte cinq stades de première division. FuriaLiga vous y emmène ! 

Butarque, Leganés
Crédits : Yashin Quesada

Sur le chemin pour aller à Butarque, un petit stade municipal situé en dehors du centre de Leganés, les gens semblent se rendre à un pic-nic. Certes, ils sont habillés aux couleurs de leur club, mais cheminer dans la ferveur n’est pas leur modus operandi. En première division, Leganés vit sa vie sans que les autres ne s’en préoccupent sérieusement, et ça lui va très bien. Finalement, on parle davantage des affiches de matchs décalées des Pepineros que du club en soi. L’équipe est rêche, compétitrice au possible, dure au masticage. Pourtant, cela ne colle pas avec l’image du club. Car Butarque est le stade le moins intimidant du championnat. La poignée d’ultra y semble peu à sa place, déconnectée du reste des supporters. En fait, Butarque est sympathique, dans tout ce qu’il y a de plus platonique. Calme et heureux, son public profite des années dorées que traverse le club. Les meilleures de son histoire.

Si les attaquants sont très limités, ce n’est pas grave, on est en Liga. Si on se fait malmener par ses adversaires, ce n’est pas grave, on est en Liga quand même. « On est Leganés, que voulez-vous…« . Si à la différence de Getafe, le voisin, on va encore devoir se battre pour le maintien cette saison, ce n’est toujours pas grave, on est toujours en Liga. Leganés, c’est le conformisme heureux, comme si les supporters avaient conscience de n’être là qu’à titre provisoire, et qu’une descente ne les empêcherait pas de dormir. Et quand on a battu le Real et le Barça dans son existence, on peut bien dormir tranquille pour l’éternité.

Coliseum Alfonso Pérez, Getafe 

Contrairement à Leganés, Getafe ne suscite pas la sympathie. Le club azulón est un mal-aimé. D’une part, l’équipe pratique un jeu peu attractif, fait de fautes multiples, de dégagements sur ses grands attaquants et de contres. Pourtant, elle gagne, ce qui ne manque pas de fomenter un motif supplémentaire de frustration chez ses détracteurs. D’autre part, son stade très ouvert sur l’extérieur (superbe moyen de dilapider une ambiance) n’est jamais rempli. En moyenne, un tiers des places restent inoccupées. De ce désamour généralisé, Getafe s’en gargarise. La doxa le condamne mais rien ne pourrait autant peu l’importuner.

Deux finales de Coupe du Roi, un quart de finale de coupe UEFA en 2008 où le Bayern a failli tomber au Coliseum, une histoire bien plus prospère que celle des dixit « débiles de Leganés », Getafe est heureux dans son monde. Pourquoi mendier l’amour des autres alors que l’on s’aime soi-même démesurément ? Quand on pénètre dans l’enceinte du club du Sud de Madrid, on ressent cette défiance envers le reste du monde. Dans cette ville qui n’a longtemps été qu’une cité dortoir, on ne veut pas de la perfection du reste des clubs, de leurs histoires romantiques. On récuse la beauté car l’important c’est d’être vrai. Et être vrai, c’est être soi-même, qu’importe le stade architecturalement raté dans lequel on évolue. Le Coliseum est animé par deux groupes ultras qui revendiquent bien cette identité particulière. Pourquoi y’a-t-il assez de monde pour composer deux groupes ultras, mais pas assez pour remplir un stade ? Car pour véhiculer son identité, il est plus important d’être peu et concentré que d’être pleins et dilués.

Santiago Bernabéu, Real Madrid 
Crédits : preferente.com

Bienvenue à l’opéra ! Dans la loge présidentielle, la plus cotée d’Espagne, le ghota de la haute société se retrouve : politiciens, juges, sportifs de renom, acteurs, et bien sûr, le président du Real Madrid. On dit de lui que sa fonction fait de lui un personnage au moins aussi important qu’un ministre. Ça, c’est pour les gens de la haute. Pour le reste, il y a ce qu’on appelle le poulailler, ou les « vomitoires », en espagnol : ces secteurs tout en haut du stade, si vertigineux que le cœur est pris d’un soubresaut au premier regard jeté en contre-bas. Les gens qui vivent supposément en dessous sont invisibles, tellement les travées sont raides.

Au Bernabéu, on n’est jamais vraiment chez soi. On a conscience de n’être qu’un étranger, de passage, dans ce lieu mythique qu’on n’arrive jamais vraiment à s’approprier. Trop intimidé. Comme un homme quelconque qui aurait reçu les grâces personnelles du souverain pour aller découvrir une unique fois dans sa vie ce à quoi ressemble l’opéra. Alors, lorsque la musique se fait entendre (classique, évidemment) il sursaute, à cause de son déclassement. L’hymne du Real chanté par Placido Domingo, ténor parmi les ténors, résonne, assourdissant. C’est le premier acte dans ce monde bernabesque faits de rêves et d’ésotérisme. Après le lyrique, vient le galactique.

Wanda Metropolitano, Atlético de Madrid

Tout le monde s’accorde à dire que le Vicente Calderón était mieux. Adossé contre un fleuve, traversé par une autoroute, l’enceinte sur le point d’être détruite avait pour elle son authenticité et son improbabilité. Pour se rendre au Wanda Metropolitano, il faut s’entasser dans un métro, le temps d’une série interminable d’arrêts. Un stade de plus en dehors de la ville. Monstre de béton et de technologie, la nouvelle demeure des Colchoneros n’a pas d’âme. Aucun bar aux alentours, aucune rue dans laquelle se rassembler, juste un désert de goudron d’une froideur totale. Le Wanda rappelle furieusement l’Etihad Stadium, deux stades sponsorisés, artificiels, susceptibles de plaire davantage aux architectes qu’aux fans de football. Contrairement aux premiers, les seconds y mettent les pieds.

Peu vertical sur les premiers rangs, éloignant le public des joueurs, assombri à mesure que l’on s’élève dans les travées, rendant invisible le public assis dans ces zones, l’intimidation caractéristique du Calderón est absente. L’ambiance peine à prendre, au milieu de l’immensité des lieux. Il y a quelque chose de terriblement inadéquat dans ce stade. On est loin d’un Bernabéu ou d’une Allianz Arena, où les joueurs ont l’impression que le public est littéralement sur eux. « Le public nous tombe dessus » dit-on en espagnol pour caractériser ces espaces. Infidèle à l’essence d’un club évitant soigneusement d’être associé aux mastodontes madrilènes et barcelonais, le Wanda ne sied pas à l’Atlético. Il conviendrait davantage à une équipe de football américain, qui pourrait au passage bénéficier des grands parkings à proximité du stade pour y ranger bien symétriquement les véhicules de son public de consommateurs. Tout compte fait, c’est une bonne chose que le Wanda n’ait pas été nommé « Estadio Luis Aragonés ». 

Estadio de Vallecas, Rayo Vallecano
Crédits : Marca.com

À même la rue, une porte de tôle ondulée sert d’entrée au stade. La peinture écaillée est couverte de stickers et de graffitis à la gloire du socialisme, témoignant des valeurs du quartier. Plutôt que d’entrer dans une enceinte de première division, on a l’impression de pénétrer dans une construction sur le point de s’effondrer. Tant bien que mal, à coups de rafistolages, le stade  de Vallecas tient debout. Fait de bas plafonds, d’espaces condamnés, de carreaux, de vitres crasseuses et de poussière, le stade ne résiste pas à l’usure mais résiste au temps.

Sur les vieux sièges visés dans le béton, les étiquettes métalliques servant à indiquer le numéro des places ont été arrachées, si bien que les spectateurs se placent où bon leur semble. Inutile de solliciter les agents de sécurité, ceux-ci aussi là pour regarder le match. D’ailleurs, quand le Rayo marque, ils s’embrassent, comme les supporters dont ils ont en charge la surveillance. Un écran unique est chargé d’afficher le score et les minutes. Quasiment hors-service, les couleurs y sont altérées, rendant les inscriptions à peine visibles.

Cinq mètres derrière un but, des immeubles de briques typiques des banlieues madrilènes bordent le terrain. Collés aux fenêtres, les habitants regardent les matches, en robe de chambre suivant l’heure de la journée. Derrière le but adverse se détache le mythique groupe ultra des Bukaneros. Depuis leur tribune aux allures d’échafaudage, ils s’insurgent contre le capital, les nazis et leur président, Martín Presa. De loin, ils ressemblent à une portion minime du stade Monumental de River Plate, dont ils ne partagent toutefois ni la grandeur, ni les valeurs.

Vallecas, est composé de deux districts, qui ensemble comptent 300’000 habitants. Quartier ouvrier, pauvre, de gauche, où vivent de nombreux immigrés, Vallecas est un laissé pour compte. Il a la taille de grandes villes espagnoles telles que Valladolid, Vigo ou Córdoba, seulement, il n’en a ni le prestige ni l’attention médiatique. Alors, Vallecas revendique son existence au-travers de son équipe de football. Elle confère aux habitants une source de visibilité, et de fierté. En Europe, les clubs comme le Rayo se comptent sur les doigts d’une main.

Lorsque Vallecas s’enflamme, on dirait qu’il va conquérir le monde et que rien ni personne ne peut l’arrêter. Les entreprises les plus folles deviennent soudain possibles. Le temps d’un match, on oublie sa condition, on s’extirpe de ce monde qui paie mal. Mener face au Barça, au Real, ou face à n’importe quel club de Liga finalement, c’est remporter la lutte des classes et mettre fin à la domination des puissants, qui ont juste eu plus de chance que les autres à la naissance. C’est rétablir une justice pour un temps au moins. L’électricité profondément contenue dans les revendications et les frustrations jaillit. C’est bien pour ça que « rayo » veut dire « éclair » en espagnol.

 

Elias Baillif (Elias_B09)

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