Entretien XXL – Víctor Hugo Morales : « Maradona est un héros lyrique sans l’ombre d’un doute ! »

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Víctor Hugo Morales est une référence du journalisme en Amérique latine. Uruguayen de naissance, il a acquis sa popularité en Argentine et une renommée mondiale en commentant, extatique, le « gol del siglo » de Diego Maradona en 1986. Actuellement en Russie pour couvrir le Mondial avec la chaîne Telesur, il présente une émission quotidienne avec El Pibe de Oro. Après avoir convenu d’un rendez-vous avec son épouse car il n’utilise pas de téléphone portable, le journaliste est d’une ponctualité d’horloge. « Bonjour, c’est Víctor Hugo Morales » dit-il sobrement. Et l’entrevue qui devait durer quelques minutes s’est étirée sur 2 heures. Disponible et précis, il évoque sa vocation pour le journalisme, les influences françaises en Uruguay, la Celeste, son amitié avec Maradona, sa vision de la presse actuelle, les Madres de la Plaza de Mayo, la situation politique au Venezuela et sa passion pour l’opéra. Ta-ta-ta-ta-ta : entretien XXL avec la légende.

Les gens ne le savent peut-être pas mais vous êtes Uruguayen. Vous êtes la personne la plus indiquée pour parler de ce France-Uruguay de ce vendredi.

A l’heure actuelle, les Uruguayens sont ravis parce qu’ils aiment cette équipe qui a eu un répondant exceptionnel. Ils sont très fiers de ce qu’ont fait les joueurs, du courage dont ils ont fait preuve à chaque match, cette tempérance, cette sécurité, cette fiabilité. En défense, ils ont été très bons mais ce n’est pas uniquement un pari axé sur l’arrière-garde, une chose qu’a longtemps fait le football uruguayen. Il y a deux attaquants incroyables, des cas uniques dans ce Mondial, à part peut-être avec la France qui a deux, voire trois buteurs de ce niveau. D’un bout à l’autre du terrain, il y a une certitude sur le jeu. L’Uruguay est dans un état d’exaltation.

La Celeste est le fruit d’un travail de nombreuses années sous l’égide du Maestro Óscar Tabárez. C’est incroyable qu’un pays d’à peine 3.5 millions d’habitants puisse sortir autant de talents. Si on s’arrête sur les attaquants, il n’y a pas que Luis Suárez et Edinson Cavani mais aussi Maxi Gómez et Cristhian Stuani.

Le Maestro Tabárez est un homme au-dessus de la moyenne en termes de capacités et de vision du football. Son passage en Argentine, plus particulièrement à Boca Juniors dans les années 80 a marqué une certaine disposition d’être et de jouer que le temps a reconnu comme très précieuse et courageuse. Quand il a pris en main la sélection, ces joueurs étaient encore très jeunes et quand ils ont commencé à travailler avec lui, ils n’étaient pas les stars rutilantes qu’ils sont devenus. Ils étaient malléables et ils se sont construits ensemble, le staff comme les joueurs. Il ne fait aucun doute que cet homme de plus de 70 ans, s’appuyant sur une béquille, très sobre, très austère ressemble à la personnalité uruguayenne. Il a grandement contribué à ce dépassement de la Celeste. Il lui a donné une physionomie et un caractère qui font écho celle, historique, des années 1950.

Antoine Griezmann a dit qu’il se sentait à moitié Uruguayen. Ça a eu le don d’énerver Luis Suárez. El Pistolero a répliqué que le Français ne peut absolument pas savoir ce qu’est le sentimiento uruguayo. Comme se définirait-il ?

Je pense que Suárez se réfère à une forme de culture qui survient dans l’histoire de chacun. C’est une façon propre de le dire en Uruguay mais il y a certainement plus une forme d’humour que de sévérité dans ce jugement.

On connaît votre amitié avec Diego Armando Maradona mais on sait moins que c’est vous l’inventeur du surnom « El Príncipe » pour Enzo Francescoli.

C’est vrai. Pour sa façon de se comporter sur le terrain, son port de tête. Dans la rapidité des images qui arrivent dans l’esprit d’un commentateur, au moment de frapper un penalty, Francescoli m’a fait penser à un prince. Je l’ai dit à ce moment-là et je me suis rendu compte que ce surnom lui allait vraiment bien et les gens l’ont adopté.

Cela fait quel effet pour un commentateur qu’une inspiration puisse être immédiatement reprise par le public ? C’est à la fois un cadeau et une marque de respect ?

Plus qu’un trait de son physique, je suis heureux d’avoir capté un élément de sa personnalité qui, en le disant, est entré facilement dans l’esprit des gens. C’est forcément un compliment. Ça m’a toujours enchanté que cela ait plu.

Francescoli était une idole à Marseille et particulièrement celle de Zinedine Zidane. Tous les deux partagent cette façon de jouer tête haute.

Francescoli avait une vision anticipée du jeu. Ceux qui ont ça se distinguent des autres. Normalement, on regarde le ballon. Les joueurs différents sont ceux qui regardent le jeu. Nous parlons de deux joueurs qui ont toujours eu pour priorité ce qui les entourait en même temps que le ballon.

Crédits : Fifa

 

La relation qui retient mon attention, ce n’est pas Marseille et Buenos Aires mais celle de la France avec l’Uruguay »

 

Vous êtes né à Cardona, à environ 180km de la capitale Montevideo. Votre passion pour la radio, ou du moins la voix, est née là. Vous étiez très jeune quand cette vocation a pris racine.

Je devais avoir 9 ou 10 ans. Ce n’était pas la radio à proprement parler mais plus des annonces qui sortaient des haut-parleurs d’une camionnette qui faisait le tour de la ville. Et c’est vrai que cela a auguré mon futur professionnel. D’ailleurs, quand j’ai débuté mon premier travail, mon réflexe a été d’entrer dans une radio. Dès mon plus jeune âge, je lisais les journaux de façon passionnée. C’est ce qui m’importait dans la vie. Tout m’intéressait. De cette manière, je me suis construit très tôt mon avenir professionnel. Je suis une personne qui a eu la chance, et ce n’est pas si fréquent, d’avoir réalisé sa vocation. Je peux dire merci à la vie.

Cette radio, c’était Radio Colonia, une station rioplatense qui émettait en Uruguay.

Je venais de fêter mes 16 ans et j’avais changé de ville. Je devais gagner un peu d’argent pour financer mes études. Je suis allé dans cette radio pour demander à faire un test. Ça leur a plu et on m’a pris comme apprenti. Après quelques mois, je suis devenu présentateur. Ce fut un début idyllique car, aujourd’hui encore, je ne réalise pas que je puisse percevoir un salaire chaque mois de ma vie pour faire ce que j’aime.

En France, surtout dans le Sud, on dit que Marseille ressemble beaucoup à Buenos Aires qui sont deux villes portègnes. Certains disent même qu’ils se sentent Argentins dans le sens où il existe des points communs, véridiques ou fantasmés, entre eux. Quand l’Argentine de Maradona est venue disputer un match amical au Vélodrome, une majorité des spectateurs était pour l’Albiceleste. Comment expliquer ce sentiment de proximité ?

Ce sont deux ports, deux villes dont le rythme change énormément par rapport à d’autres cités. Il ne fait aucun doute que la façon de vivre à Marseille est différente de celle à Paris. C’est un mélange, comme celui qui a donné le tango. Parfois, ce mélange d’origines de nombreux endroits perdure et développe la créativité et l’imagination. Cela rend ces villes plus directes, plus franches, plus folles. Dans le même temps, elles s’avèrent aussi plus dangereuses.

Mais la relation qui retient davantage mon attention, ce n’est pas Marseille et Buenos Aires mais celle de la France avec l’Uruguay. La culture uruguayenne est très marquée par l’influence française. Il y a eu une présence de la France au XIXe siècle à Montevideo lors d’une guerre qui a eu lieu au Rio de la Plata et qu’on appelle la Guerra Grande (1839-1851). Elle fut manifeste et impressionnante. A cette époque, et c’est une chose que peu de monde sait, quelques hommes politiques uruguayens, un peu avant 1850, ont voyagé en France pour signer un contrat avec Alexandre Dumas père afin qu’il écrive un livre appelé « Montevideo ou la petite Troie ». A cette époque à Montevideo, il y avait une grande quantité de citoyens français qui ont été partie prenante de la défense de la ville. Si je me prénomme Víctor Hugo, ce n’est pas un hasard. Un de mes frères s’appelle Dumas. Dans ma propre vie, cela marque une attraction vers la France. Même par rapport à l’Italie et l’Espagne qui ont eu de nombreux émigrants en Uruguay, la principale présence que nous avons dans le coeur, pas seulement moi mais aussi chez les Uruguayens en général, c’est d’abord celle de la France. Nous l’avons dans le ventre, c’est une jolie histoire à analyser. C’est tout de même incroyable qu’Alexandre Dumas père ait écrit un roman, d’autant qu’il est allé en Uruguay pour constater ce qu’on lui avait raconté. C’est vraiment très curieux car on ne parle pas de n’importe quel auteur. Il est lié à l’Uruguay et finalement peu de monde le sait.

On a parlé de rythme de vie des villes portègnes et justement un joueur uruguayen ne semble pas répondre à cela, c’est Edinson Cavani qui n’est pas de Montevideo mais de l’intérieur du pays. Il paraît à mille lieues d’un Rioplatense.

C’est probable. Je ne connais pas beaucoup Edinson Cavani. Je l’ai interviewé une fois il y a 5 ans à Paris dans le cadre d’un programme intitulé « Ídolos del pueblo ». Effectivement, il m’a semblé que c’était une personne hors du commun, dans sa façon de penser et sa franchise. J’ai reçu récemment une vidéo pour le programme que je présente avec Diego Maradona où il parle de tout ce que le football lui a apporté mais aussi retiré, notamment en termes de liberté. Cavani a été l’un des rares avec Dani Alves et Falcao à être aussi intéressants.

Cavani est très différent de Suárez qui est beaucoup plus sanguin. On dirait un peu des cousins germains : de la même famille mais avec une éducation différente.

La façon dont ils se replient sur le terrain est un marqueur de leurs personnalités. Cavani est un joueur d’une incroyable générosité. Suárez est beaucoup plus implacable par rapport à l’adversaire. Mais avec ces caractéristiques différentes, ils sont complémentaires. Le 1er but inscrit contre le Portugal en 1/8 de finale en est la démonstration, cette générosité et de cette confiance entre eux. Cavani savait que le ballon allait finir sur sa tête.

Crédits : la voz

Une grande partie de votre vie de journaliste en Argentine est conditionnée par la journée du 22 février 1981.

Mon premier jour de travail en Argentine coïncide effectivement avec le premier match de Diego Maradona sous le maillot de Boca Juniors. Une journée forcément marquante pour moi puisque Maradona a marqué ma vie de commentateur.

C’est assez incroyable ce lien qui existe et perdure entre un journaliste et un joueur, deux références en la matière.

Oui, d’autant que nous avons développé une relation personnelle et une confiance particulière. Nous ne nous tutoyons pas, nous ne partageons pas de café ou de dîner ensemble, ou alors au milieu de 20 personnes. Il y a une respectueuse et très affectueuse distance entre le protagoniste et le journaliste. Et cela fonctionne très bien pour le respect que nous nourrissons l’un pour l’autre car, quelques fois, l’amitié et le développement d’une relation plus fraternelle font que le respect mutuel n’est pas le fil de cette relation. Par son jeu, Diego a effectivement contribué à 5 ou 6 moments décisifs de ma carrière de commentateur et je lui en suis très reconnaissant. Je l’estime énormément et il a toute mon affection. Lui me respecte comme professionnel sérieux. Le code de cette relation n’est pas le grand abrazo des amis.

Forcément le point d’orgue de cette relation aux yeux du monde, c’est le « Gol del siglo » au stade Aztèque de Mexico. Tout a été dit et écrit sur ce but. Pour autant, comment naît un tel commentaire ? Il y a quelques années vous aviez utilisé l’expression « émotion brutale », un terme qui fait penser à un prétoire de cour d’assises.

Je suppose que ce genre d’émotion a à voir avec la notion d’état de choc. « Émotion brutale », cest un terme de criminologie. Je crois que quelqu’un qui est submergé par l’émotion sort de lui-même et ne sait plus ce qu’il fait. Tout ce qui s’est passé à ce moment-là était fou. Pour un grand nombre de motifs, tout a contribué à cette folie pendant ces 2 ou 3 minutes. Cela aurait pu être un ridicule, surtout par rapport au comportement austère que j’ai en temps normal. Mais sans aucun doute, cela a traduit la passion. J’ai parlé récemment avec des collègues italiens d’un commentaire que j’avais fait en 1982, toujours avec Maradona sur le terrain. Ils m’ont parlé de la façon dont j’avais décrit une victoire de l’Italie. J’aime la base de mon travail, ma passion pour le commentaire. Lors du « Gol del Siglo », les circonstances se sont agrégées : c’était Diego, face aux Anglais, le passeport pour les 1/2 finale pour une équipe en qui personne ne croyait en Argentine. Tout cela combiné a provoqué chez moi cet état de folie au moment de commenter ce but.

Outre le célèbre « barrilete cósmico » (cerf-volant cosmique, ndlr), vous utilisez une interjection qui vous rend reconnaissable d’emblée : le ta-ta-ta-ta. Cela signifie quoi ?

« Ta », c’est très Uruguayen. C’est comme dire « d’accord ». C’est une expression très simple. « Ta » définit la conversation. « Ta » pour un but, ça veut dire « está hecho el gol », il va y avoir but. Tout dépend de l’intonation que l’on donne pour informer l’auditeur, quand le but est imminent il y a un rythme différent pour le dire.

 

Le football est une activité collective, c’est difficile de valoriser l’individualité car on commet forcément une injustice envers les coéquipiers »

 

Quelles sont les différences de ton entre la radio et la télévision ? Le rythme d’élocution varie mais y a-t-il d’autres particularismes ?

Les deux techniques sont complètement différentes. Chaque jour, les commentateurs à la télévision deviennent de plus en plus des commentateurs de radio. Je ne trouve pas ça très bien. La radio fait travailler l’imagination des gens. L’explication que l’on transmet est nécessaire à l’auditeur. En revanche, à la télévision, cette explication est superflue. Le téléspectateur voit ce qui se passe. En fait, ça devrait être une compagnie. Ce serait très utile, dans le développement technologique exacerbé que le match soit uniquement accompagné d’un socle où s’affiche seulement le nom du joueur qui a le ballon. C’est peut-être un peu fou mais je veux souligner que celui qui regarde n’a pas besoin qu’on lui raconte. Ce que pourrait faire un commentateur à la télévision, c’est apporter des précisions qui échappent au téléspectateur qui reste une personne moins entraînée que le journaliste. La narration, c’est pour la radio. En fait, je ne sais pas si c’est une question générationnelle, mais il semble que les commentateurs à la télévision ont une difficulté avec la gestion des silences. S’il y a des silences, ils le ressentent comme s’ils faisaient mal leur travail. Le silence serait une bonne compagnie pour les moments où il ne se passe rien.

De la même manière, les nouvelles technologies changent le contenu de la presse écrite. Il ne reste plus beaucoup de sports où un journaliste peut se lancer dans un résumé épique et picaresque. Ceux qui s’y prêtent le mieux ce sont le cyclisme et la boxe. 

Effectivement, la littérature relative aux sports individuels comporte toujours des éléments épiques, par exemple, « Le combat du siècle » de Norman Mailer qui retrace le combat Ali-Foreman. Il y a aussi beaucoup de choses écrites sur le rapport entre le torero et le taureau ou entre les boxeurs car il a une forme épique très spéciale. C’est l’homme qui surmonte tout et obtient la victoire envers et contre tout. C’est toujours passionnant. En revanche, le football est une activité collective, c’est difficile de valoriser l’individualité car pendant qu’on met en exergue l’un des joueurs, on commet forcément une injustice envers ses coéquipiers. Le succès comme l’échec est collectif.

J’ai eu beaucoup d’émotions en écoutant les commentaires de courses cyclistes à la radio en Uruguay, la façon dont on peut rendre le déroulement du parcours. C’est une de mes premières fascinations pour la radio car tout ce qui était dit, je devais me l’imaginer : la route, la campagne, la solitude, la distance, l’effort des coureurs, sous le cagnard ou sous la pluie, le défi héroïque qui consiste à parcourir des centaines de kilomètres vers un objectif, celui qui craque et ne peut plus rien espérer, celui qui s’échappe et qui se sent poursuivi. C’est une épique merveilleuse que l’on retrouve aussi chez le boxeur, l’homme frappé dans son coin, avec les gants, le visage tuméfié, qui sort son bras pour lancer un coup. J’ai beaucoup aimé commenté la boxe. J’ai aussi écrit sur la boxe, plus particulièrement lors des combats de Carlos Monzón. Je me rappelle que cela provoquait en moi une inspiration très spéciale.

On constate aussi que le support papier perd de son influence, y compris dans des titres mythiques. Il y a quelques semaines à peine, la revue Gráfico a cessé ses parutions. Certaines habitudes se perdent petit à petit, notamment celui d’aller au kiosque à journaux et de trouver beaucoup de sources immédiatement et sans effort, presque trop facilement.

Les façons d’écrire dans un journal papier et un journal digital sont différentes. Sur le web, mis à part quelques publications, il y a moins ce développement de la pensée. Cela conduit le lecteur à être seulement une personne qui prend l’information. Je suis de ceux qui ont développé leur culture personnelle dans des journaux très bien écrits, où chaque article est un récit littéraire. Cela a évolué. Désormais les gens ont accès à 8, 10, 12 sites qui savent que le lecteur va partir rapidement, au bout d’une minute par page. Alors ils écrivent vite pour satisfaire le besoin d’information dont le public a supposément besoin. Pour moi, c’est gravissime. Pas seulement pour notre profession mais aussi pour la culture personnelle des gens

Quand j’écris un article, je cherche à ce qu’il dépasse l’information parce que l’information, tout le monde peut la trouver. La condition même du journaliste c’est d’aller plus loin que ça. Par exemple, si je lis « la France et l’Uruguay vont disputer un match passionnant, les supporters sont très enthousiastes », ce n’est pas le genre d’article qui m’intéresse car il n’a aucune valeur ajoutée. Si nous ne proposons pas autre chose, un nouveau regard, une façon d’utiliser notre imagination, alors nous ne valons pas plus que ceux qui attaquent notre profession. C’est un sujet dont j’aime débattre car chaque jour, je constate que les gens lisent de moins en moins, qu’ils sont de moins en moins aptes à se concentrer car ils n’ont plus de patience.

Cela marque la diminution du niveau culturel et nous propulse vers un monde de grande ignorance. Plus nous avons d’éléments à notre disposition pour nous cultiver, plus nous nous installons à la périphérie de la culture. C’est très inquiétant et le web a beaucoup à voir avec ça. Il y a une quinzaine d’années, j’écrivais sur un site ; j’avais l’habitude d’écrire à ma façon mais on m’a demandé que ce soit plus bref, que ça paraisse plus direct. Je n’ai eu aucune passion pour ce travail, jusqu’au dernier jour. J’ai compris qu’ils cherchaient de nouvelles techniques pour trouver un nouveau type de lecteurs, c’est-à-dire hors du lectorat traditionnel, celui dans lequel j’ai baigné depuis ma jeunesse.

C’est l’éternelle question : qui fait le lectorat ? Les lecteurs eux-mêmes ou les rédacteurs en chef ? C’est le serpent qui se mord la queue car cela semble insoluble.

Je dirais qu’il faut faire les choses comme on les ressent. Il ne faut supposer la volonté du lecteur, lui attribuer qu’il veut un type de choses. Cela ne me paraît pas être le bon chemin. Pour moi, le journaliste, au même titre que le romancier et le cinéaste, doit faire les choses comme il les sent. Un article d’une forme quelconque, ça n’a aucun intérêt. Zéro ! Chaque article que j’ai écrit a eu l’intention d’ouvrir le champ. Ce que je recherche, c’est que le lecteur ait appris quelque chose. Je ne trahirai jamais ma façon de faire, ce serait mortifère. Je refuse de me soumettre à la facilité. Si on veut dépasser ça, il faut penser, imaginer, comparer, se situer dans des contextes divers.

On est souvent entouré de gens qui nous expliquent ce que les gens veulent. En disant cela, ils établissent une dictature qui m’est insupportable. Qui dit que les gens veulent ça ? Et puis c’est quoi « les gens » ? Ça ne m’intéresse pas de travailler pour ce type de personnes qui font du moins-disant et sous-estiment les capacités. Ces personnes pensent comprendre alors qu’elles ne comprennent pas le monde qui les entoure. Je m’adresse à des personnes comme moi, en quête de quelque chose qui les touche, les passionne, les améliore et qui retirent un enseignement de ce qu’ils ont lu. Ceux qui affirment qu’ils savent ce que les gens veulent rendent les lecteurs plus pauvres. Je considère que l’auditeur ou le lecteur, au moment de couper la radio ou refermer le journal doit être moins pauvre et un peu meilleur.

Dans les années 1980, bien que vous soyez Uruguayen, vous avez été l’un des premiers à mettre en avant Las Madres de la Plaza de Mayo (une association de femmes qui, depuis 1977, effectue des rondes chaque semaine devant le palais du gouvernement pour retrouver les disparus de la dictature de Videla, ndlr). Y avait-il des pressions à l’époque pour ne pas en parler à la télévision ?

Non pas vraiment, car c’est arrivé dans un moment de lutte extrême qui leur avait fait gagner un très grand respect. Quand la démocratie est arrivée en Argentine, en 1983, elles étaient déjà reconnues internationalement comme de grandes battantes. Ces derniers temps, le néo-libéralisme médiatique s’est attaqué à ceux qui sont proche d’elles être proches d’elles. Il y avait un tribut à payer pour ces femmes qui sont vraiment merveilleuses. J’ai d’ailleurs reçu récemment une vidéo de remerciements destinée à Diego Maradona pour une intervention que nous avons faite à propos de leur situation économique qui est très complexe car elles sont complètement oubliées par le gouvernement actuel. J’ai demandé à Diego qu’il en parle et il l’a fait naturellement.

 

Maradona est le produit d’une classe sociale très maltraitée d’Amérique latine. C’est de cela qu’est né ce sentiment de rébellion »

 

Établir qui de Maradona ou Messi est le meilleur n’a pas de sens. En revanche, Maradona est beaucoup plus Argentin dans le caractère. Il se passionne, il se trompe mais il ne se cache jamais quitte à se brûler les ailes.

Diego Maradona a sa vision très personnelle de la vie, il avance comme cela. Il est le produit d’une classe sociale très maltraitée d’Amérique latine. C’est de cela qu’est né ce sentiment de rébellion, de confrontation avec le pouvoir réel. Et quand il s’affiche avec un président, c’est toujours avec un président opposé au pouvoir réel, par exemple Nicolás Maduro que personne n’aime dans un monde néo-libéral qui gratifie l’obéissance. Être avec Maduro, ce n’est pas être du côté du pouvoir mais du côté de la confrontation avec le pouvoir réel du monde. C’est une caractéristique de Diego qui a pris sa source dans la volonté de rebeller contre toute forme de pouvoir qui condamne des milliers de familles latina-américaines aux vies complexes faites de privations. Diego assume ce rôle contestataire et c’est ce qui le rend si spécial.

Vous travaillez notamment pour Telesur (basée à Caracás au Venezuela, ndlr) et vous animez depuis plusieurs années pendant le Mondial et la Copa América un programme avec Maradona. Que représente cette chaîne en Amérique latine, sachant qu’elle est financée par des capitaux venus de différents États du continent (Venezuela, Cuba, Bolivie notamment). Elle a une portée bolivarienne assumée ?

Je me dois rappeler que cette participation a eu lieu quand des gouvernements qui allaient vers le progressisme ont été élus. Ça a toujours été la volonté du Venezuela d’avoir une identité latina-américaine très forte, tout comme une volonté de leadership (par rapport à CNN par exemple, ndlr). C’est ça l’origine de Telesur. Dans certains pays, elle a peu d’entrées. Par exemple en Argentine, l’accès a été supprimé. Néanmoins, il y a de nombreux pays qui reçoivent le signal international. Je pense que la présence de Diego dans le 1er programme que nous avons présenté et qui s’appelait De Zurda a permis la promotion de la distribution de la chaîne dans le monde. Ce n’est pas uniquement moi que le dit mais bien toute la rédaction Telesur. Ce que dit Diego a toujours une écho et une puissance particuliers.

 

Il est politiquement correct d’être contre le Venezuela. Moi, je suis très heureux de vivre avec l’incorrection d’être en faveur du Venezuela »

 

Telesur a couvert plusieurs événements majeurs en Amérique latine, comme le coup d’État au Honduras en 2009. Mais actuellement, vu la situation au Venezuela, peut-on parler de façon indépendante de ce qui se passe avec le pouvoir de Nicolás Maduro ?

La majorité des journaux privés au Venezuela est la propriété de l’opposition. C’est une présence très forte, celle des opposants, d’autant que ce sont eux qui détiennent la majeure partie de l’information proposée aux media néo-libéraux. Pour moi, le Venezuela vit une période de guerre interne, avec des chevaux de Troie venus des États-Unis afin d’atteindre le pouvoir réel du pays. L’idée politique socialiste s’oppose complètement à celle prédominante dans le monde qui est le néo-libéralisme. Depuis le monde néo-libéral, tout ce qui se construit au Venezuela, il est très difficile de comprendre ce qui se passe. C’est le point de départ même de la situation au Venezuela : une vision progressiste qui s’attaque aux intérêts néo-libéraux des secteurs les plus puissants de l’économie. Ces pays, les Etats-Unis, l’Espagne, la sphère ecclésiastique ont participé à un coup d’État depuis 2002 (l’entrepreneur Pedro Cardona a retenu captif pendant 47 heures Hugo Chávez ; les Etats-Unis et l’Espagne ont reconnu le gouvernement Cardona mais le putsch a finalement échoué, ndlr). Et comme ce coup d’État n’a pas prospéré, ils travaillent avec des centaines d’ONG et des media qui essaient de cultiver une opinion contre le régime. Mais au moment des élections, ils perdent. En décembre 2013, Maduro gagne les élections avec encore plus clarté. A ce moment-là, la droite se rend compte que par la voie des urnes, elle n’a aucune chance. Alors elle pousse une partie population, celle qui a été « victime » du Chavismo, à sortir dans la rue pour protester contre le gouvernement. 43 personnes sont mortes et à partir de là, le Venezuela est entré dans cette situation critique et c’est alors que sont réapparus les affrontements dans les rues entre pro et anti gouvernement.

Récemment, il y a eu une élection à laquelle la droite n’a pas voulu participer, principalement parce qu’elle sait qu’elle ne peut pas l’emporter car les pauvres ont gagné en pouvoir. Même s’il y a des privations, il y existe une profonde gratitude car ils ne pensaient pas que cela arriverait. Je connais bien le Venezuela depuis les années 70. Jeune homme, j’avais été marqué par la situation. Ces gens-là ont été humiliés et appauvris pendant des siècles, cela ne fait aucun doute. Avec le Chavismo, ils ont acquis le statut de personnes à part entière. Ils ont obtenu le respect. Comme ils sont très nombreux, cela coûte à la classe dominante d’influencer autant de monde et gagner les élections. Elle ne peut le faire qu’en déstabilisant le pays. Elle le fait en utilisant l’information de cette manière.

Il y a sûrement des vérités car tous les gens au gouvernement ne sont pas propres, comme partout. Mais il est aussi vrai que cela vient de l’extérieur, des Etats-Unis qui ont des intérêts pétroliers et économiques. Il faut savoir que la population américaine au Venezuela est la plus nombreuse de toute l’Amérique latine. Les Américains ont donc pris l’habitude de considérer le Venezuela quasiment comme un territoire propre, appuyés les traîtres qu’il y avait à l’intérieur du pays et qui agissaient pour les intérêts économiques qui les servaient. C’est aussi le cas de l’Espagne qui a de nombreux intérêts au Venezuela et ce n’est pas un hasard si la tentative de coup d’Etat de 2002 a été ourdie avec une collaboration des Etats-Unis et le gouvernement de José María Aznar comme cela a été prouvé par la suite. Alors, entre les agressions et les morts dans les rues, il s’écrit un scenario où il est difficile d’avoir un avis. Pour autant, il est politiquement correct d’être contre le Venezuela. Moi je suis très heureux de vivre avec l’incorrection d’être en faveur du Venezuela.

Pour en revenir à Telesur, je suis actuellement en Russie mais je perçois simplement un viatique pour les voyages et l’hôtel mais j’ai refusé d’être payé, vu la situation économique de la chaîne. Pour moi, travailler pour Telesur, c’est aussi être en adéquation avec la situation de l’Amérique latine, d’autant que j’ai la chance de pouvoir l’assumer financièrement.

 

La Révolution doit venir par la voie démocratique »

 

On a vu dans les media traditionnels et sur les réseaux sociaux des files de réfugiés vénézuéliens qui passaient la frontière colombienne…

Pourquoi partent-ils se réfugier en Colombie si ce n’est parce qu’ils craignent quelque chose ? Cela marque la formation de secteurs qui ont une agressivité et une organisation supérieures, qui assument un engagement très élevé contre les opprimés. Des gens contraints à l’exil, cela existe dans tous les pays, qu’ils soient dirigés par des gouvernements de droite ou des gouvernements de gauche.

Ma lecture, c’est que si nous croyons en la démocratie, le peuple vénézuélien doit élire son gouvernement. C’est qu’il fait. Dire que les élections sont truquées est impossible quand les observateurs internationaux, des institutions comme celle Jimmy Carter (ancien président des Etats-Unis en 1977 et 1981, ndlr) ont dit qu’elles avaient été organisées conformément aux attentes. Je ne pense pas que quelqu’un comme José Luís Zapatero (ancien premier ministre espagnol entre 2004 et 2011, ndlr) puisse aller sur place et ne dise pas qu’il y a eu une fraude s’il y en avait eu une. Une personne peut avoir des sympathies pour le pays mais ne peut pas se taire s’il y a une fraude flagrante. Ça n’aurait aucun intérêt de le cacher.

Ce que nous avons c’est une expression démocratique. Voulons-nous la démocratie ou voulons-nous la laisser aux mains des secteurs dominants médiatiquement et culturellement qui considèrent que le vote des pauvres est nul ? Si nous allons vers ça, il faut renverser la Constitution et le processus démocratique. Pour cela, il faut recourir à la violence, celle de gens qui descendent dans la rue ou celle de groupes organisés qui contribuent à la déstabilisation du gouvernement. Ce n’est pas facile d’avoir accès à l’information, surtout quand elle est construite par des media qui, nous pouvons en témoigner à l’intérieur de l’Amérique latine, sont capables de tous les mensonges. C’est ce qu’on peut lire en Argentine via Clarín qui est un groupe d’extorqueurs médiatiques qui volent le pays. Ils sont nombreux à le faire et ils affaiblissent la population. J’ai beaucoup de réserves par rapport à ce qui se dit et j’essaie de voir ce qui m’empêcherait de tout voir avec clarté, avec les choses négatives du gouvernement du Venezuela mais avec des paramètres que j’établis. Si les élections sont démocratiques et libres, alors le peuple a choisi. Or, un secteur national et international veut autre chose mais ne peut l’imposer avec les élections, c’est-à-dire un processus démocratique. Alors, ils vont à l’encontre de la démocratie C’est ce point de départ qu’il convient d’analyser, tout en respectant tous les points de vue. Si les élections sont régulières comme l’a dit Jimmy Carter, alors il se passe quelque chose de grave. Si nous disons que nous ne croyons plus en la démocratie, que nous n’acceptons pas les pauvres puissent décider de qui va diriger le pays parce qu’ils lui font du mal ou parce qu’ils ne savent pas et à ce moment-là la démocratie ne marche plus. Nous irions alors vers une démocratie athénienne avec un faible pourcentage de citoyens qui déciderait du type de pouvoir en place. Dans ce cas, il faut le dire : nous ne voulons pas que le peuple vénézuélien s’exprime lors des élections, nous ne l’acceptons pas car ils ne sait pas ce qu’ils fait et il se trompe. Mais s’il veut la démocratie, il faut la respecter.

A vous écouter, on a l’impression que le continent latino-américain est revenu un demi-siècle en arrière. Les regards ont changé sur Hugo Chávez à partir du moment où il a nationalisé les ressources pétrolières et a envisagé d’utiliser le yuan, la devise chinoise, pour constituer une partie des réserves de la Banque centrale du pays.

Ce sont des changements profonds. Le monde est un désastre et il est capitaliste. A propos ce dont on a parlé, 1% détient plus que 16 millions de personnes. Dans chaque pays, 20% vit de façon exceptionnelle, 20% les accompagne et le reste meurt de faim ou de frustration. Le monde c’est ça et personne ne peut le remettre en question. La seule façon de changer cela, c’est le processus révolutionnaire. Ce processus révolutionnaire par les armes a été un échec. Le pouvoir réel l’annihile. Même si c’est beaucoup plus difficile, la Révolution doit venir par la voie démocratique. Il faut gagner les élections et après la victoire donner une réponse révolutionnaire dans chaque pays. L’imposer  comme cela pourrait être le cas au Mexique impliquerait d’affronter tout ce pouvoir qui a fait du monde une porcherie, tous les medias néo-libéraux d’Espagne, de France, des Etats-Unis, du Mexique. Tous ceux qui veulent choisir un autre chemin se confronteront à ça car vouloir donner à manger aux plus pauvres implique une réponse révolutionnaire. Pour y parvenir, il faut retirer quelque chose à ceux qui ont tout mais ceux-là ne veulent rien laisser, par égoïsme et aussi parce que c’est une forme de pouvoir.

Le monde socialiste a développé une forme de dignité, d’élévation qui a été détruit par le monde capitaliste. Le monde est organisé ainsi : ceux qui peuvent et ceux qui ne peuvent pas, ceux qui ont accès aux rêves et ceux qui l’ont pas. Pour changer cela, il faut avoir le courage d’une Révolution. Si cela arrive au sein du processus démocratique ce serait nettement mieux car sinon cela impliquerait de nombreux morts, beaucoup de souffrances. Un journaliste qui vit dans ce monde néo-libéral se sent à l’aise car il peut s’adapter dans ce monde puisqu’il est du bon côté, celui des biens, des possibilités et des rêves. Nous ne sommes pas nombreux à en parler car il y a beaucoup de résistance mais cette façon de dire… mais je ne pourrais pas la changer.

On ne peut pas réaliser cette interview sans évoquer avec vous votre passion pour l’opéra. Auriez-vous aimé être chanteur lyrique ?

Dès l’âge de 4 ans, j’avais déjà pris conscience de mes lacunes artistiques. Du coup, ça ne m’a jamais traversé l’esprit. Je suis plutôt un spectateur fervent. Si on me demandait ce que je suis dans la vie, je répondrais que je suis un spectateur des arts et de la culture. J’aime tout ce qui fait référence à l’art. Pour moi, c’est la sublimation de la condition humaine, c’est l’intelligence, l’intuition. En Russie, j’ai pris beaucoup de plaisir à visiter la maison de Tolstoï car il fait partie de ma vie, celle de Gorki ou encore d’aller au Bolchoï et au Marinski. J’ai eu la chance de voir des choses fantastiques. A Moscou, j’ai été impressionné par la grandeur de cette ville. J’aime les villes. Je n’apprécie pas la mer, la campagne, la montagne mais je suis un amoureux des villes. J’ai pu assister à la perfection artistique : la Bayadera, la Traviata, Anna Karenina. Toutes ces choses feront partie de mon souvenir de la Russie. C’est le point fondamental de la condition humaine, cette volonté de se sublimer, cette profonde curiosité, ce désir de découvrir.

Je pense que le seul chemin qui vaille la peine, c’est celui qui nous permet de respecter la condition humaine et elle a à voir avec l’imagination, l’intelligence, la créativité. L’imagination c’est ce qui nous différencie des autres espèces. Il faut chaque jour s’émerveiller et s’enrichir. Nous sommes constamment en train de chercher une façon d’évoluer. Et chacun d’entre nous, avec un peu de chance, est le responsable de sa propre quête. Voilà ma relation avec l’art : un spectateur qui n’a jamais rêvé de faire partie de cette activité. Au contraire, je serais terrorisé à l’idée de monter sur scène. Je ne me figure pas le courage qu’il faut à un ténor pour faire face, dans une immense solitude, à une assistance pleine de connaisseurs qui sait immédiatement si on chante bien, très bien, mal ou très mal. C’est comme se retrouver seul face à un taureau. Le torero est face à la crainte de la mort, le ténor ou la soprano est face à la crainte du ridicule.

Les mouvements ternaires des conciertos pour piano et orchestre de Mozart me semblent à l’origine de la beauté du monde »

Vous avez évoqué Gorki. Dans les Barbares, il a écrit « l’avenir appartient aux tricheurs ».

C’est fort probable ! J’ai lu des essais de Gorki, notamment sur la vision de l’homme mais je ne l’ai pas lui en profondeur et je reste un lecteur superficiel de son oeuvre. Je sais que c’était un formidable combattant pour la dignité humaine. Qui lutte pour la dignité humaine est forcément confronté aux forces des traîtres.

Pour en revenir à l’opéra, quel est votre compositeur favori ?

Je n’en ai pas vraiment mais à choisir je dirais Mozart: Je pourrais citer aussi Puccini, Strauss, Wagner. J’aime beaucoup l’époque baroque et si je pouvais j’aimerais bien vivre cette époque. Les oeuvres de Vivaldi sont aussi incroyablement belles. Pour autant, il me semble que le classicisme de Mozart constitue un point d’équilibre. Il anticipe tout ce qui viendra des autres compositeurs. Un de ses grandes forces, c’est aussi d’avoir écrit beaucoup de d’œuvres symphoniques, des sonates et les conciertos pour piano et orchestre dont les mouvements ternaires me semblent à l’origine de la beauté du monde. Il est le compositeur le plus complet de tous, la clef de voûte. La musique instrumentale et l’opéra n’avaient aucun secret pour lui.

En même temps, il a une connotation très populaire. Les œuvres les plus reconnaissables de l’histoire de la musique sont de Mozart. Pour quelqu’un comme moi qui ne connaît pas la musique, si j’écoute un morceau qui me paraît de Mozart mais qui ne l’est pas, c’est assurément un contemporain qui l’a suivi, même si le classicisme s’est aussi inspiré de Haydn, au même titre que Beethoven s’est inspiré de Mozart plus tard et ainsi de suite car toute l’histoire de la musique est liée à la fois par les influences successives mais aussi par l’apparition de nouveaux instruments. J’ai une prédilection particulière pour les conciertos pour piano et orchestre nº21 et 23 car ils sont l’harmonie de l’héritage de Bach et Haydn et ce qui inspirera ensuite Schumann, Brahms, Dvorak et Tchaïkovski. Selon moi, cela ne constitue qu’un seul et même fil qui s’étire au fur et à mesure de l’évolution musicale qui témoigne aussi de la propre évolution de l’humanité.

Vous n’avez pas cité Giuseppe Verdi dont la musique est souvent liée à l’histoire politique de l’Italie même si, initialement au moment de l’écriture, le chœur des esclaves dans Nabucco (1842) n’avait pas une portée universelle.

Justement, j’ai assisté en Russie à la Traviata et ce qui me plaît c’est qu’il n’y a pas qu’un seul Verdi. Son implication politique le rend bien plus complexe que les autres compositeurs. En près de 40 ans, il a développé 3 ou 4 formes distinctes de composition. Pour y parvenir, il a aussi eu cet avantage de la longévité, ce cheminement personnel dont Mozart par exemple n’a pas pu bénéficier puisqu’il est mort à 35 ans, ce qui nous prive de 30, 40 voire 50 ans de musique. C’est une chose qui rend énormément triste car nous ignorons ce qu’il aurait été capable de composer. Verdi ou Brahms ont atteint cet âge de la maturité. Mais je crois surtout que Mozart l’avait déjà atteint à 20 ans.

D’un point de vue populaire, peut-on considérer que le football s’est substitué à l’opéra ?

C’est difficile de l’affirmer quand on pourrait utiliser des arguments pour dire que ça l’est et d’autre pour dire que ça ne l’est pas. Le football a une géométrie, par exemple 4 joueurs qui se sont des passes rapides au milieu des adversaires. Ça, on peut considérer que c’est une forme de musique. On pourrait ajouter que dans n’importe quel aspect de la vie, la précision, les lignes et la géométrie parfaites constituent un forme de musique dans le cerveau. En suivant ce chemin, on peut dire que le football rejoint l’opéra

Maradona pourrait être un personnage d’opéra ?

Assurément ! Maradona est un héros lyrique, sans l’ombre d’un doute !

Propos recueillis et traduits par François Miguel Boudet (@fmboudet)

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