Real Madrid – Roja : la trahison de Lopetegui

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Mais que se passe-t-il au Real Madrid et à Krasnodar, le camp de base de la Roja ? Quelques jours après le départ surprise de Zinedine Zidane, la Casa Blanca a annoncé l’arrivée sur son banc de Julen Lopetegui, actuel sélectionneur de l’Espagne. Pourquoi un tel timing alors que la Selección entre en lice vendredi contre le Portugal champion d’Europe en titre ? La présidence de Luis Rubiales ne pouvait pas plus mal commencer.

Pendant près de 30 ans, Ángel María Villar a dirigé la Fédération espagnole de football d’une main de fer, entre népotisme et magouilles en tous genres. Depuis mai dernier, c’est Luis Rubiales, ancien président du syndicat des joueurs qui a pris la place, au terme de plusieurs mois de flou artistique. La RFEF avait besoin de renouveau et le « caso Soule » qui implique de nombreuses composantes du football ibérique est encore très loin d’être refermé.

Nouvelle ère même méthode ? Le natif de Gran Canaria a promis une « Fédération pour tous », loin de la cuisine interne passée, ce qui ne l’a pas empêché de nommer son oncle au bureau directeur et de se payer publiquement José Luis Larrea, président intérimaire de la Fédé et rival battu.

Rubiales a voulu démarrer son mandat par un signe fort : prolonger Julen Lopetegui jusqu’à l’Euro 2020. La signature est intervenue le 28 mai dernier. Imaginez sa réaction face au séisme qu’a provoqué le communiqué officiel du Real Madrid de ce mardi après-midi ! Julen Lopetegui, actuel sélectionneur de la Roja, devient l’entraîneur des Vikingos ! Il a fallu bien se frotter les yeux pour réaliser. A l’image de sa nomination à la tête de l’Espagne en 2016, personne n’avait vu venir Julen Lopetegui qui retrouve un club dont il a porté le maillot entre 1989 et 1991 et entraîné le Castilla en 2008-2009.

Coalition madridiste contre Rubiales ?

Crédits : corazonblanco.com

Julen Lopetegui est un sacré malin dans le feutré. Il y a 2 ans, après le batacazo de la Roja à l’Euro 2016, les feux médiatiques étaient focalisés sur Joaquín Caparrós et Míchel González. Très présents dans la presse, certainement trop, ils ont pas senti la menace du Basque qui avait quasiment ficelé son arrivée à Wolverhampton à l’époque en Championship. Moins de deux ans plus tard, alors que les noms de Mauricio Pocchettino, Antonio Conte, Michael Laudrup, André Villas-Boas et une nouvelle fois Míchel González sont mentionnés dans les gazettes, c’est encore Julen Lopetegui qui devance tout le monde au sprint. Il y a du Óscar Freire chez l’ancien gardien de but… Le Real Madrid a joué le coup de main de maître, aiguillant les media vers des pistes foireuses dès lors que les dirigeants ont compris que Pocchetino ne rejoindrait pas le triple champion d’Europe en titre. L’aval de Sergio Ramos, qui après l’Euro 2016 militait pourtant pour Caparrós en Sélection, l’homme qui l’a lancé chez les pros à Séville, prévalait. Le capitaine des Merengues et de la Selección l’a donné pour Lopetegui cette fois, ce qui a définitivement convaincu le club au maillot immaculé.

Ce qui est moins malin en revanche, c’est le timing. Les premiers contacts ont été initiés lundi dernier et Lopetegui a paraphé son contrat quelques heures plus tard. Cousu du fil blanc. Dès lors, on peut vraiment se poser des questions sur le fonctionnement interne de la RFEF. Nommé sélectionneur pour sa personnalité œcuménique (un Basque passé par le Real Madrid et le Barça qui a réussi avec les sélections de jeunes), Julen Lopetegui rajoute de la pression sur lui et sur son groupe de manière inutile. Manifestement, le sélectionneur a fait un gosse dans le dos de Rubiales. Et que dire du rôle de Florentino Pérez, voire celui de Fernando Hierro, le directeur sportif de la Roja et accessoirement monument du Madridisme) ? Peuvent-ils ainsi mettre en péril l’équilibre de la Selección ?

Crédits : mirror.co.uk

L’empressement de FloPer à officialiser la venue du futur ex-sélectionneur met en difficulté la Roja, ce qui doit clairement être le cadet de ses soucis. Mais en ce qui concerne la RFEF, si la conquête de la 2e étoile ne se termine pas autre chose qu’un succès, la gestion de cet avant-Mondial sera nécessairement imputé à Luis Rubiales qui n’a toujours pas compris ce qui lui arrivait. En effet, selon Diario AS, le tout nouveau président de la Fédé aurait appris la nomination de Lopetegui à peine 5 minutes avant la publication du communiqué merengue. Placé devant le fait accompli par Pérez, Hierro et Lopetegui, Rubiales s’est fait avoir en beauté, comme un débutant qu’il est. Pour autant, est-il responsable de ce qui vient d’arriver ? En tous cas, une telle chose aurait été impossible avec Villar et Rubiales paie très cher pour apprendre. Rafael del Amo, vice-président de la RFEF, n’a guère goûté cette officialisation et il l’a fait savoir au micro de Radio Marca : « je n’aime pas ça. En vrai, cette nouvelle ne me plaît pas du tout. Je l’ai entendue en début d’après-midi. Je ne crois pas que ce soit le moment, il le saura. Ce n’est pas le moment, il y a beaucoup en jeu. Il fallait trouver un autre moment, mais il faut le respecter aussi ».

Rubiales humilié publiquement

La polémique fait déjà rage en Espagne, y compris dans les quotidiens sportifs de Madrid. Comment un sélectionneur peut-il, à quelques heures d’un partidazo, signer pour un club, même aussi grand que le Real Madrid,  alors qu’il a récemment signé une prolongation de contrat avec une clause de rescision à 2M€ ? Certains appellent même à la démission immédiate du technicien. Une solution extrême certes mais qui témoigne de l’émoi que provoque la nouvelle. C’est provoquer un tsunami autour de la Selección et une effervescence largement dispensable, d’autant que la Roja figure parmi les favorites du Mondial.

En 2008, il était acquis dès le début de l’Euro que Luis Aragonés passerait la main et il avait signé pour Fenerbahçe pendant la compétition. Dix ans plus tard, la situation n’est en rien comparable et c’est bien là que le bât blesse. « Ça ne devrait pas influer, il sont super professionnels pour savoir ce qu’il y a à faire, a estimé Rafael Del Amo. Je suis confiant sur le fait que nous serons champions, j’espère qu’il en sera ainsi. Dans le cas inverse, rendez-vous compte du mal que cette annonce pourrait constituer, pour les uns comme pour les autres. Ce n’est pas opportun ».

Mais est-ce qu’à l’inverse cela retirera de la pression aux joueurs ? Le pari est risqué, sachant qu’en cas de mauvais résultat contre le Portugal qui n’est pas exactement le genre d’équipe à prendre à la légère, le groupe peut imploser comme en 2014 par exemple. Luis Rubiales vient tout simplement de se faire piétiner publiquement et de commencer d’une piètre manière son mandat à la tête de la RFEF. Cela aura forcément des conséquences sur le groupe, mais dans quelle mesure ? Nouvelle ère certes mais l’arrière-cour reste la même…

Dans son éditorial, Alfredo Relaño, le rédacteur en chef de Diario AS, résume très bien la situation, ce brouillard inutile qui entoure la Roja à 72h de son entrée en matière en Russie. « Franchement, la nouvelle m’a anéanti. Non pas parce que Lopetegui devient l’entraîneur du Real Madrid pour les trois prochaines années car cela me semble être un bon choix et tout à fait respectable. Mais le jour et le mode me paraissent horribles. On perçoit un certain air de trahison au groupe qui est au Mondial, au nouveau président Luis Rubiales qui vient juste de le renouveler et à toute une afición dans l’attente fébrile du Mondial et qui maintenant voit que le leader est plus intéressé par signer au Real Madrid qu’autre chose et qui a résolu son problème personnel en le transmettant à la Selección, ce qui revient à le transmettre à tous les supporters du pays. C’est le droit de Florentino Pérez de faire ce qu’il a fait. Il paiera les deux millions de la clause, une somme insignifiante à son échelle. Il a son entraîneur, il peut dormir tranquille. Mais cela à un coût qui aurait pu être évité en choisissant un autre moment ou en retardant l’annonce de cet accord à la fin de la Coupe du Monde. Avec cela, le Real Madrid a fait du mal à beaucoup de monde dans ce pays, ce qui a une signification que l’on ne peut ignorer ». Après les échecs cuisants de 2014 et 2016, la Roja avait tout pour revenir sur le devant de la scène en 2018. Mais c’était manifestement trop simple. Julen Lopetegui n’a plus d’autre choix que de réussir.

François Miguel Boudet

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