Serbie : Javier Clemente, le nationaliste basque à la tête de la première sélection serbe de l’histoire.

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Javier Clemente est un homme particulier en Espagne. Joueur modeste, presque légende de l’Athletic sur le banc des Leones, ancien sélectionneur de la Roja, il ne laisse personne indifférent. Sa fin de carrière est plus qu’en demi teinte en tant qu’entraîneur et il cumule les déclarations à l’emporte pièce. Quand il devient le premier sélectionneur non serbe (ou yougoslave) de la toute nouvelle équipe de Serbie en 2006, tout le monde est pris de court. Retour sur une période particulière pour le football serbe et Clemente.

Rien est simple en Serbie, et le football, le sport roi là-bas, ne déroge pas à la règle. Le pays de Milinkovic-Savic a changé 3 fois de noms en 30 ans. Son paysage, sa population, son aura et son identité nationale a aussi été bouleversé lors des dernières décennies. Participant à son 3e mondial sur les 4 derniers, la Serbie veut retrouver son lustre d’antan et enfin montrer qu’elle est une nation faste des Balkans.

Dejan Stankovic, pour comprendre l’histoire du football Serbe

Pour présenter rapidement l’histoire récente de la Serbie, rien de mieux que prendre en exemple le parcours d’une de ses gloires récentes : Dejan Stankovic. L’idole de l’Inter a été formée à l’Etoile Rouge de Belgrade, l’un des deux clubs phares de Serbie qui s’affrontent lors du derby éternel connu de tous les amateurs de football. Dejan commence en pro à 16 ans, dans son club, après avoir été repéré à 14 ans. Avec lui il va connaître ses premiers succès, l’interdiction de coupe d’Europe imposée par l’ONU, les premiers matchs européens ensuite et le capitanat à 19 ans.

En 1998, l’année où il quittera son pays pour l’Italie et la Lazio il reçoit sa première convocation internationale. Ce maillot qu’il va porter sur la scène internationale est celui de la république fédérale de Yougoslavie. Rien est rose dans les balkans durant cette période, plusieurs pays ont quitté la république qui est en proie à des affrontements un peu partout. En gros, elle se compose de la Serbie, du Monténégro et du Kosovo. Sous les couleurs de ce maillot, il disputera donc la CDM 1998 en France et l’Euro 2000 organisé dans un pays-bas et un plat.

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En 2003 le pays change de nom après de nouvelle querelle interne et une guerre civil. De RF Yougoslavie, elle devient la Serbie-Monténégro (oui y’a toujours le Kosovo, mais l’histoire est assez complexe avec ce petit pays). Dejan change donc de pays après avoir changé de club, le voila à l’Inter. En 2006, après les échecs de qualification pour l’Euro 2004 et le mondial 2002, la Serbie et Monténégro dispute sa première compétition majeure. Durant ce temps, le climat reste tendu au pays. En mai de cette année 2006, le Montenegro vote son indépendance d’une très courte tête. Pour le Mondial allemand on garde le même nom et la même équipe mais pour les prochaines échéances internationales, il y aura une équipe de Serbie et une du Monténégro.

Javier Clemente, un parcours mitigé

Le mondial 2006 clôt l’histoire la Serbie Monténégro. Cette claque est violente et la rupture nette. Ce qu’il reste de la Yougoslavie est balayé 3 fois, et prend même une claque face à l’Argentine. Tout vole en éclat, et c’est toute une sélection que va devoir se remettre à travailler pour retrouver les sommets. La Serbie devient l’héritière logique de la Yougoslavie, elle garde les performances passées (les multiples quarts en CDM, et la 4e place de son Euro 76). Sauf que maintenant elle doit se construire un avenir, pour permettre à toute une nation de regarder de nouveau vers l’avant.

En 2006, l’homme qui est nommé pour permettre de faire table rase du passé est un Espagnol : Javier Clemente. Le Basque devient le premier non Yougoslave à prendre les reines de la sélection serbe. Javier est un personnage atypique et un entraîneur qui ne laisse pas indifférent. Joueur plutôt intéressant qui a vu sa carrière s’arrêter brusquement après une fracture tibia-perroné à l’âge de 24 ans. Directement après l’annonce de sa retraite en tant que footballeur, il devient coach. En 1981, c’est le premier aboutissement, alors qu’il n’a que 31 ans il s’assoit sur le banc des Leones, son club de coeur. C’est là qu’il va vivre sa période gloire et emmener l’Athletic vers les sommets. Une Liga en 83, un doublé Liga-Copa en 84 ponctuée d’une Supercoupe d’Espagne, Clemente ramène le club basque au sommet de l’Espagne pour la dernière fois. Depuis lui et les Leones n’ont jamais pu revivre ce genre de sentiments.

« Je respecte beaucoup les gens de tous les endroits. Quand je suis parti de la Roja, j’ai dit en public: « Je suis un nationaliste basque ». Cela ne veut pas dire que je suis un antimadrileño ou antinada. »

En 86 il quitte l’Athletic et le pays basque pour faire le grand saut à l’Espanyol. Le club rival du Barça, là où il a forgé sa première rivalité sur les bancs avec Menotti. L’Argentin qui a soulevé la coupe du monde 76 avec son pays a fortement critiqué le style bien trop strict de Clemente. Javier a rétorqué que Menotti n’était qu’un hippie coureur de jupons et que son avis n’était que peu pertinent. Avec les Pericos, il truste une 3e place et les emmène en finale de Coupe UEFA. En 89 alors que le club est relégué il est limogé.

« Après Menotti on m’a aussi confronté à Valdano . Les médias ont créé la dichotomie du « style Valdano » ou du « style Clemente » et il s’avère que le modèle Valdano était le même que le mien, nous avions le même objectif : gagner. Les entraîneurs en Espagne quand ils commencent à travailler dans un club parlent habituellement de football de spectacle. Parce que? Parce que c’est bien vu. L’expression «vous devez donner un spectacle» ne cesse de ce répéter, mais ils vendent une laitue congelée en plein hiver que personne ne peut manger. »

Il change une nouvelle fois de ville, cette fois il pose ses bagages à Madrid et à l’Atletico. Après 240 jours, et alors qu’il est deuxième, Clemente est limogé. Il refait alors un tour à l’Athletic et un autre à l’Espanyol. Son style quasi militaire n’a pas repris au Pays Basque, il réussit tout de même à sauver l’Espanyol mais il ne prolonge pas. La fédération vient de lui offrir le poste de sélectionneur, chose qu’il ne peut pas refuser. Clemente récupère une Roja qui n’a pas pu se qualifier pour l’Euro 92 en Suède. Ses premiers choix sont fort, il change d’épine dorsale, exit la Dream Team de Cruyff bonjour la Quinta del Buitre du Real. Il dirigera l’Espagne dans 3 compétitions majeures. En 1994 et en 1996 il sort en quart, en 1998 sa Roja est directement éliminé en poule. Après une défaite plus qu’honteuse face à Chypre en qualification pour l’Euro 2000, il est limogé.

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Après ce départ et avant de retrouver un poste de sélectionneur en Serbie, Clemente enchaine les mauvaises expériences. Que ce soit à la Real, au Betis, à l’OM, à Tenerife ou encore à l’Athletic les résultats sont plus que moyens. Son départ de l’Athletic est plutôt violent, Clemente et son président s’envoie de multiple piques dans la presse. Le basque a besoin de voir du neuf, d’un projet intéressant qui lui permettrait de se refaire une santé et de retrouver les succès.

Javier Clemente, le nationaliste basque à la tête de la sélection serbe

Nous voilà en 2006, la côte de Clemente en Espagne est au plus bas. Celle chez le voisin français n’est pas mieux après l’expérience mitigée à l’OM. Cependant, la fédération toute neuve de Serbie se propose à Javier. La dernière compétition disputée par les Serbes a été désastreuse. Cela ne refroidit pas le Basque, intéressé par un projet complexe et surtout très ambitieux. L’objectif est double pour Clemente, se qualifier pour l’Euro 2008 mais surtout, rajeunir la sélection.

« Dans n’importe quelle équipe espagnole, Clemente coûterait cinq fois plus cher. Pour cet argent, personne n’aurait voulu venir », admet Terzic

Le contrat est rapidement signé. Alors que Clemente joue au golf et n’est plus vraiment concerné par le ballon rond. Lui préfère parler politique dans les médias et sortir la sulfateuse par moment. C’est à Palma que le dîner au sommet entre la fédération Serbe et Clemente se déroule. Le Basque est très intéressé dés le départ, et le deal est bouclé en moins de 5 minutes. La suite du repas tournera autour des derniers affrontements entre Roja et Yougoslavie notamment celui de 96. Financièrement le deal n’est pas très haut. Alors la fédération accepte la demande de son nouveau sélectionneur d’avoir un adjoint serbe parlant espagnol. Vidakovic est choisi. Djukic le coach des U21 sera aussi en contact constant avec le staff de la sélection sénior. La Serbie (alors qu’elle s’appelait encore Serbie et Monténégro) sort d’un Euro U21 2004 abouti avec une deuxième place à la clé, en 2006 elle sort en demi. Preuve de la qualité présente chez les jeunes de la sélection.

« Je vais former une équipe puissante et je vais essayer de lui redonner le prestige qu’elle a toujours eu »

Clemente se sent aimer et désirer par la fédération serbe. Lui l’entraîneur avec un égo important a besoin de ça pour réussir. Le premier match de la nouvelle Serbie avec le Basque sur le banc est un amical face à la République Tchèque. C’est pour l’anecdote le dernier match de Pavel Nedved avec sa sélection. Le score est net en faveur des aigles, 3-1. La presse serbe est plutôt dithyrambique et la fédération soutient totalement son nouveau sélectionneur.

Les débuts de qualification pour l’Euro 2008 se déroule plutôt bien. Dans un groupe assez relevé avec la Pologne et le Portugal, les aigles sont durant longtemps qualifié pour l’exercice en Autriche et en Suisse. Emmené notamment par Zigic et Lazovic la sélection est bien rajeunie. Dans les joueurs lancés en sélection A par Clemente il y’a du beau monde : Milan Bisevac, Ivanovic bien qu’il ait eu sa première cap avec la Serbie-Montenegro prendra une place important sous les ordres du basque ou encore Rukavina.

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Les premières sélections de Clemente ne comptent que très peu de joueur de plus de 30 ans et un Dejan Stankovic en phare et moteur de cette nouvelle Serbie. Dans ce groupe A des qualifications pour l’Euro 2008, la Serbie fait un parcours plus qu’honorable, tenant 2 fois en échec le Portugal et la Pologne. Cependant, les défaites face à la Belgique et le Kazakhstan font un peu tache dans le tableau. La Serbie termine 3e, à 3 petits points du Portugal et à égalité avec la Finlande et ne se sera donc pas de la petite sauterie en Suisse et Autriche.

Une fin en eau de boudin

Cette contre performance est importante mais ne semble pas dramatique à première vue. On peut se dire que un des deux objectifs de Clemente a été atteint, l’équipe a été considérablement rajeunie et en prime, certains matchs ont été plus qu’aboutis. De plus, les aigles n’ont pas été dépassé dans cette campagne. Cependant au pays il n’en est rien, Clemente est pris en grippe par les médias locaux. Une période de flottement apparaît, le Basque répond dans la presse serbe et demande le soutien de sa fédération. Les réponses sont tardives, molles et de forte dissensions apparaissent dans la fédération, certains pensent qu’il est encore l’homme de la situation quand d’autres militent pour sa destitution.

« On m’a dit que j’échoué .Bien sûr, le résultat dans les qualifications était mauvais, tout le monde le sait et il ne faut pas une énorme intelligence pour le prouver », explique Clemente dans la presse Serbe « Mais, que le Comité technique exprime sa position avec des arguments, qu’ils disent : » Clemente commis telle ou telle erreur « . Ce sont des gens qualifiés dans le football, ils devraient analyser en détail mon travail, et non pas superficiellement. Pour moi, il me semble qu’ils n’y se sont sérieusement occupé , «

La décision tombe début novembre, moins d’un mois avant la fin de contrat de Clemente. Lui qui était totalement investi dans son travail, et avait notamment rallié la Serbie depuis le Pays basque en voiture à cause d’une interdiction de prendre l’avion après une chute, était dans la tourmente à cause de sa popularité après à sa nomination : le Basque est logiquement licencié.« Les résultats sont toujours le dernier baromètre de savoir si quelqu’un a réussi ou non et nous avons pris la décision de ne pas prolonger le contrat de Clemente expirant le 31 décembre » les mots de Terzic sont sans appel. Ce départ reste une zone de flou. Lui ne voulait pas continuer sans un soutien indéfectible, sauf que les médias et les fans ne semblaient pas emballer par ce qu’il proposait.

« Clémente m’a dit qu’il voulait de rester dans la position de l’ entraîneur sous la condition que je lui garantisse un environnement positif. Garantir cela était impossible pour moi. C’est la raison pour laquelle nous ne le renouvellerons pas  » Terzic

Par la suite, Terzic est revenu sur ce départ, estimant que « Clemente avait eu un objectif difficile d’atteindre les finales de l’Euro 2008 avec une équipe jeune et la fédération était irréaliste dans ses attentes. » Il faisait partie des forts soutiens du Basque au début et même à la fin, malgré la non-qualification. Cependant la pression bien trop importante des médias et des membres du comité de direction l’ont forcés à se séparer de l’ancien sélectionneur de la Roja. Depuis les jeunes serbes ont encore cartonné, mais la sélection senior n’a toujours pas connu d’Euro. Pour ce Mondial 2018, Krstajic a pour mission de faire enfin passer un cap à cette sélection qui est encore une fois remplie de grands talents et faire oublier les événements politiques récents qui ont encore touchés le monde du football. Clemente quant à lui ne retrouve plus les sommets et est sans emploi depuis une expérience en demi-teinte sur le banc de la Libye. Il préfère parler politique dans les médias et faire des clash sur Twitter, comment lui en vouloir ?

Benjamin Bruchet

@BenjaminB_13

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