Uruguay : Trois histoires de batailles pour trois Charruas

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Trois des sept meilleurs buteurs en Liga cette saison sont Uruguayens : Luis Suárez, Maxi Gómez et Cristhian Stuani. L’occasion de les raconter par les batailles que leurs ancêtres ont menées.

Pour une raison troublante, le football aime se comparer à la guerre. Il serait question de combat, de duels, d’y laisser son âme, et bien plus encore. Étrange, pour une discipline qui n’en reste pas moins un jeu, frivole, en comparaison avec la guerre, une affaire trop réelle. Mais puisque le football dicte ses choix sur les zombies que nous sommes, comparons. Trois batailles pour trois Uruguayens.

Maxi Gómez, l’envahisseur

Maxi Gómez vient de Paysandú, une ville uruguayenne située à l’Ouest du pays, très proche de la frontière avec l’Argentine. En 1864, le général Venancio Flores, appuyé par des alliés argentins et brésiliens tente d’envahir la ville à la tête d’une armée de 15’000 hommes. En face, les 1086 unités du colonel Gómez font pâle figure. Soucieux de minimiser les pertes, Flores envoie une lettre à Gómez lui ordonnant de se rendre. Ce dernier lui réexpédie la missive avec la réponse suivante : « quand je serai mort ».

Faute de capitulation, pendant un mois, la ville essuie les bombardements. Le siège empêche l’arrivée de tout renfort, mais Paysandú reste aux mains de Gómez. À la fin du mois, le plus proche allié de Gómez meurt. Ce dernier demande une trêve aux assaillants afin d’enterrer les morts. Les troupes adverses refusent. Pendant les négociations, les alliés brésiliens de Flores rentrent dans la ville, embrassent les troupes de Gómez, leur faisant croire que la paix a été négociée. Au-devant de ce mensonge, elles baissent la garde. Ainsi, Gómez et son état-major se retrouvent rapidement entourés, et sont faits prisonniers. Le chef des défenseurs de la ville sera exécuté, mais son nom deviendra légendaire et le fera passer à la postérité comme un exemple de courage.

La défense de Paysandú deviendra un mythe connu de tous en Uruguay et aux alentours. Un poète argentin écrira une prose à cet épisode. « Héroïque Paysandú, je te salue, frère de la patrie dans laquelle je suis né, tes vers et tes gloires se chantent sur ma terre comme ici« . Le mois suivant cette bataille, Venancio Flores deviendra président de l’Uruguay pour la seconde fois. Retenez son nom, il a une importance…

La bonne pioche du Celta

Contrairement à ses ancêtres, Maxi Gómez lui se distingue davantage par le rôle d’envahisseur de terres adverses plutôt que celui de défenseur des siennes. Dans ce rôle-là, le joueur du Celta Vigo a tout pour être gênant. Tel un colonisateur, il tire parti des meilleures situations, est toujours sur le dos des autochtones, les défenseurs centraux, et cherche à créer des divisions parmi eux. Surgir entre les deux pour reprendre un centre, c’est sa spécialité. Surtout s’il peut placer sa tête dans l’histoire. Sur 17 buts marqués cette saison, 11 l’ont été d’un coup de caboche. Son mètre 86 combiné à une bonne détente sont évidemment partie-prenante de ces buts aériens, mais le joueur de 21 ans fait surtout parler une autre qualité afin d’être à la fête : sa lecture des espaces.

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Que ce soit au premier poteau, au second, sur balle arrêtée, proche ou loin des cages, il arrive au contact du ballon au bon endroit au bon moment. Ce qui est flagrant, c’est qu’il sait où le ballon va arriver avant son défenseur. De cette manière, il peut initier sa course avant lui et lui arracher d’emblée quelques précieux dixièmes de seconde. L’anticipation est la clé, d’autant que l’ancien du Defensor Sporting Club n’est pas un joueur rapide.

Dissimuler ses lacunes

Ce manque de vitesse, il le compense par une corpulence certaine. À le voir, on pourrait croire qu’il flirte avec un léger surpoids. Pourtant, cette force physique lui est bien utile à l’heure de se frotter aux adversaires lorsqu’il conduit le ballon. Car en plus de son manque de vélocité, il ne jouit pas d’une créativité technique débordante. Peu importe, les kilos se mettent au service de quelques crochets rudimentaires, et bonne chance pour arrêter El Toro. Soumettre ses adversaires par la ruse et la force, c’est bien un truc d’envahisseur ça !

La grande réussite de Maxi Gómez, outre le fait de s’être adapté à la Liga dès le premier jour, c’est d’avoir su masquer ses lacunes. Le peu d’assurance en son pied gauche et sa créativité sommaire balle au pied, font de lui un joueur peu flamboyant dans les espaces réduits. Seulement, il n’a pas à évoluer dedans. Comme le déclarait Iago Aspas récemment au País « c‘est clair qu’avec le Celta il y a plus d’espaces qu’avec l’Espagne« . Cela permet au buteur uruguayen de recevoir plus souvent le ballon face au jeu quand il décroche, lui facilitant le travail. Quand son ancêtre a défendu la ville de Paysandú, il avait de nombreuses déficiences. Sa réussite a été de les minimiser durant un mois. Un mois pour devenir une légende.

Christhian Stuani, le semeur de trouble

En 1870, quelques années après la défense de Paysandú, un autre conflit éclate en Uruguay, au sein de ce XIXe siècle extrêmement mouvementé dans le pays. Opposants politiques au gouvernement du parti coloré de ce cher Venancio Flores, encore lui, 25’000 tenants du parti blanc sont contraints à l’exil en Argentine, après un coup révolutionnaire manqué en 1868 (ils parviendront tout de même à assassiner Flores, mais leur leader périra aussi). Ils réalisent que la seule façon de pouvoir fouler à nouveau le sol de leur pays, c’est de reprendre le pouvoir. Comme cela ne pourra pas être les urnes, dictature oblige, les membres du parti blanc utiliseront la force !

C’est ainsi que débute la Révolution des Lances en 1870, du nom de l’arme qu’utiliseront les Blancs. Dans la province de Canelones, province de laquelle est originaire Cristhian Stuani, une bataille historique va éclater le jour de Noël. La dénommée bataille de Sauce sera la plus meurtrière de la Révolution des Lances. Le général Suárez, membre du parti coloré au pouvoir et le général Aparicio, tenant des révolutionnaires du parti blanc jouent au chat et à la souris depuis quelques jours. Finalement, ils se retrouvent à Arroyo de la Sauce pour en découdre.

Les forces en présence sont semblables en nombre, environ 5000 hommes pour chaque camp, même si les envies de sang des révolutionnaires sont inégalables. Le combat est serré, et soudain, les plans imaginés ne sont plus respectés. Blancs et colorés se poursuivent même au-delà du champ de bataille, abandonnant leurs postes parmi les troupes, à cause d’un excès de zèle. Même Aparicio déserte sa position. Alors que le désordre règne, Suárez parvient à réfléchir. ll réussit à réorganiser les siens. Son infanterie reprend le dessus pendant que son artillerie fait des dégâts dans les lignes adverses. Il finit le travail avec la cavalerie et gagne la bataille. Pour marquer le coup, il fait piétiner les cadavres adverses par les chevaux, capture tout ce qu’il peut capturer, fanfare de guerre comprise.

Stuani métamorphosé

En une saison, Cristhian Stuani a explosé son record de buts en première division. En marquant à 21 reprises, il s’est adjugé le rang de cinquième meilleur buteur du championnat. Si le joueur de Girona a autant marqué, c’est notamment parce que son équipe a trouvé le contexte qui lui convenait : le chaos ambiant. Il est impossible de dissocier la saison aboutie du natif de Tala du jeu de son équipe. D’autant plus que jusque-là, l’attaquant n’avait jamais brillé particulièrement. Il était même passé par la deuxième division anglaise en 2015/2016, sans y marquer les esprits. Rien de comparable à l’avalanche de buts de cette saison.

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À Girona, le 3-4-2-1 de l’entraîneur Pablo Machín a fait sensation. Les couloirs étaient l’apanage de Pablo Maffeo et Aday. À eux deux, ils permettaient à Girona de faire vivre son jeu extérieur. Leurs arrières étant couvert par des centraux, ils pouvaient s’aventurer loin de leurs bases. Devant eux, Borja García et Portu venaient apporter leurs soutiens sur les ailes. Celles-ci devenaient alors le lieu de toutes les créations pour Girona. Pour finir le travail et profiter de cette verticalité notoire, Stuani s’illustrait. De la tête sur des centres de Portu, l’Uruguayen a fait trembler ceux qu’il a rencontré sur son passage. Et que dire des balles arrêtées, grande arme des Catalans cette saison…

Dès que le score tournait en sa faveur, Girona n’avait pas peur de défendre. Puis, dès que l’équipe de Stuani le pouvait, elle faisait chauffer le moteur pour repartir de l’avant et punir. Désorganiser l’adversaire, lui faire tourner la tête pour mieux le saisir, le général Suárez et le Girona de Stuani partagent ce point commun. Même le scénario que présente le stade de Montilivi, renforcé à coups d’échafaudages est tumultueux. Quand la confusion s’établit, penser est fondamental. C’est l’exigence pour gagner.

Luis Suárez, le dérouté

Retour en arrière, en 1846 cette fois. L’Uruguay est gouverné par deux présidents, rivaux absolus depuis des décennies : Manuel Oribe et Fructuoso Rivera. Le premier a l’avantage de pouvoir compter sur le soutien du voisin argentin, alors que le second dispose du soutien des Brésiliens, et de légions européennes. Au cours de l’année, les deux factions se rencontrent dans la province de Salto, province qui a vu naître Luis Suárez. L’armée qui soutient Rivera est dirigée par Giuseppe Garibaldi, un défenseur de la liberté italien. Après avoir bourlingué en Europe et avoir été banni pour la défense de sa cause, il propose ses services en Uruguay. Là-bas, il forme la légion italienne, qu’il habillera de rouge, pensant qu’avec cette couleur, les ennemis ne verront pas le sang couler.

Dans cette bataille de Salto (à San Antonio plus précisément), ses hommes sont en minorité. Ayant déjà combattu deux fois en infériorité numérique avec succès depuis son arrivée en Uruguay, cela ne lui pose pas de problème. Cette fois, le rapport de force est de un contre quatre : 1200 soldats composent les rangs adverses, 300 les siens.

La bataille que Garibaldi va livrer est dantesque, à tel point que ses opposants, quand ils ne sont pas morts, désertent petit à petit les lieux. Après 13 heures de corps à corps et un homme perdu sur deux. les dommages qu’il vient d’infliger aux adversaires sont énormes. Alors, l’Italien décide de quitter la zone de guerre pour mettre ses troupes à l’abri. Il rassemble ses rangs, et tous ensemble, ils prennent le chemin de Salto, chantant et portant leurs blessés. Pendant cette marche, ils continuent à tirer de loin contre l’ennemi qui tente une ultime offensive à leur égard. À la fin du mois, tous les hommes du bataillon de Garibaldi sont décorés. « Les invincibles » sera leur surnom.

Le besoin de se retrouver avec lui-même

Être favori, avoir un Argentin à ses côtés et se casser les dents sur un Italien héroïque vêtu de rouge, la saison de Luis Suárez ressemble à cette fameuse bataille de San Antonio. Bien qu’il ait marqué la bagatelle de 25 buts en Liga, ce qui fait de lui le troisième meilleur artificier, le Charrua reste sur de moins bons registres que lors des deux dernières années. Alors qu’Ernesto Valverde a réussi à construire des contextes pour que les joueurs offensifs de l’équipe puissent s’exprimer, Luis Suárez a quelque peu été laissé pour compte par son entraîneur. Avec Luis Enrique, Messi redescendait beaucoup au milieu pour participer à la création du jeu. Cela faisait de Suárez le préposé à la finition. Mais depuis que Valverde est arrivé sur le banc, le joueur argentin a retrouvé un rôle plus proche de la surface. Luis Suárez a dû chercher comment exister dans l’ombre de son ami.

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Ses appels ne débouchaient plus systématiquement sur une passe lui étant destinée. Exilé entre l’aile gauche et le centre, il a dû vivre avec la frustration de celui qui est contraint de vivre loin du but. Pendant ce temps-là, Messi s’est trouvé un nouveau partenaire de jeu, en la personne de Jordi Alba. Pour Suárez, le début de saison a été particulièrement troublant. Physiquement, il n’est pas apparu aussi à l’aise dans les grands espaces. Comble de la frustration, Andrés Iniesta, son meilleur pourvoyeur s’est fait plus discret en termes d’apparitions. Puis, la vie a repris son cours du côté de Barcelone. Le buteur s’est remis à enfiler les perles comme de rien. Jusqu’à ce qu’un Italien téméraire, vêtu de rouge qui plus est, se dresse sur la route menant à Kiev…

Épilogue

Eduardo Galeano, célèbre écrivain uruguayen et passionné de football a écrit : « l’histoire est un prophète avec le regard tourné vers ce qui est derrière : par ce qu’elle a été et contre ce qu’elle a été, elle annonce ce qu’elle sera« . Ou quand le passé et ses batailles trouvent une résonance dans le futur.

Elias Baillif

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