La fascinante histoire de l’Atlético Tetuán, seul club étranger à avoir évolué en Liga

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C’est désormais monnaie courante de voir des championnats qui, pour des raisons géographiques, géopolitiques, financières ou simplement sportives, annexent un club d’un autre pays. On pense par exemple à Swansea City en Premier League, ou au FC Vaduz en Suisse. En Espagne, si plusieurs clubs andorrans évoluent dans les divisions inférieures, un seul club non-espagnol a connu la première division : l’Atlético Tetuán. 

Tout d’abord, voyageons au début du XXe siècle. Le 30 mars 1912, le sultan Muley Hafid et Eugène Regnault, diplomate français sur place, signent (à contre-coeur pour Hafid) le traité de Fès, qui marque la fin de la souveraineté de la Monarchie marocaine. Le pays est désormais sous protectorat français. Plus tard, le 27 novembre de cette même année, le protectorat espagnol est installé. L’Espagne « contrôle » désormais la quasi-intégralité du nord du Maroc, en plus d’un petit territoire – Cabo Juby – au nord du Sahara Espagnol, dans ce qui correspond plus ou moins aujourd’hui à la frontière entre le Maroc, la Mauritanie et l’Algérie. Tetuán, Tétouan en français, dans le nord-ouest du Pays, était la capitale de ce protectorat.

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Photo : xeruta.blogspot.com

Pour plus d’informations sur le protectorat espagnol au Maroc, c’est par ici.

Revenons-en au foot. De plus en plus populaire sur la Péninsule, le football a donc vite traversé le détroit de Gibraltar. Sur place, les militaires et civils espagnols ont ainsi créé des équipes au sein desquelles ils se réunissaient pour disputer des compétitions. Le Radio F.C par exemple, était l’un des premiers à voir le jour, étant composé principalement de réservistes, pendant que d’autres formations comme le F.C. Hispano-Marroquí ou le Tetuán F.C. émergeaient.  Ces trois clubs étaient d’ailleurs à l’origine des premières esquisses de l’Atlético Tetuán, puisqu’elles ont fusionné en 1918, donnant ainsi naissance à l’Athletic Club Tetuán, dont le logo et les maillots s’inspiraient fortement de l’Athletic Club, déjà un des plus gros clubs espagnols à l’époque. L’aventure aura cependant été de courte durée. Après quelques mois seulement, des divergences en interne ont mené à la dissolution du club et les clubs qui en étaient à l’origine ont repris leur aventure en solitaire.

Pendant les années 1920, le foot dans la région était confronté à deux problèmes de poids. Le premier était de nature politique et sociale. L’Armée espagnole subissait ainsi des représailles et des longues séries de rebellions venant des Marocains, principalement dans la région du Rif. Des conflits qui ont logiquement eu une grande influence sur la population espagnole présente sur place et donc sur le foot, sachant que ces équipes étaient pour beaucoup composées de militaires. Le deuxième était sportif, et un énorme frein au développement du foot dans le Maroc Espagnol. Les équipes hispano-marocaines devaient se contenter de disputer des matches et des compétitions entre elles, sans avoir la possibilité de se mesure aux formations de la Péninsule.  Pour des raisons géographiques, politiques et économiques, la Fédération Espagnole de Football se niait à les laisser participer aux mêmes compétitions que les équipes du continent. Les choses ont changé avec la création de la Fédération Hispano-Marocaine de Football en 1931, qui a permis de mieux organiser et regrouper les équipes locales, liant également des liens plus étroits avec la Fédération Espagnole. A partir de cette date, le vainqueur du championnat hispano-marocain aura la possibilité de lutter pour une place en deuxième division espagnole. Ce n’est cependant qu’à partir de la saison 1939/1940 que cette mesure a pu entrer en vigueur, la plupart des clubs espagnols ne souhaitant pas alors se déplacer sur place, notamment à cause des différents conflits qui subsistaient dans la région.

Entre temps, d’autres clubs ont été formés dans la région et dans la ville de Tetuán, dont l’Español F.C, principalement composé d’Espagnols et qui était le gros club de la ville, et le Moghreb F.C, lui composé de joueurs marocains. En 1932, un groupe de supporters de l’Athletic Club de Madrid (l’Atlético de Madrid de l’époque), tente de regrouper plusieurs dirigeants de clubs locaux avec un objectif : créer un club puissant capable de rivaliser avec les clubs espagnols. L’Athletic Club de Tetuán (re)voit ainsi officiellement le jour le 12 mars 1933, et récupère notamment les meilleurs joueurs du F.C. Hispano-Marroquí et Sporting Club Tetuán, qui avaient déjà fait partie de la première aventure. Avec un nouveau logo, toujours inspiré de l’Athletic Club (Bilbao) et des maillots et shorts cette fois inspirés de l’Athletic Club de Madrid (Atlético de Madrid).

L’évolution du logo du club. Crédits: http://lafutbolteca.com/

Le club débute donc lors de la saison 1933/1934 et prend part à la deuxième division locale. Si les résultats sont médiocres, le club parvient tout de même à se hisser en première division grâce à une restructuration totale du championnat. Dans son Stade de Varela, à partir de la saison 1934/1935, l’Athletic Club de Tetuán reçoit les meilleures équipes hispano-marocaines du moment, venant de Ceuta et Melilla, enclaves espagnoles au Maroc. Une rivalité locale se crée même avec l’Español F.C., divisant la ville en deux. Fort de ses finances supérieures aux autres équipes du coin, le club se permet même d’enrôler des joueurs évoluant en Espagne, et c’est ainsi qu’il remporte le championnat dès la saison 1935/1936, à peine trois ans après sa création. Mais dès la fin des années 30, si la région est plutôt pacifiée, l’économie est de plus en plus bancale. La guerre civile qui avait éclaté en 1936 en Espagne avait aussi provoqué des départs massifs de militaires expatriés, de retour au pays pour combattre au front. L’Athletic Club de Tetuán était dans une situation très tendue et disparaît plus ou moins… En 1941, le club revient et devient le Club Atlético de Tetuán, suite à un décret obligeant les équipes à avoir des noms espagnols. En territoire espagnol, l’Athletic Club, fondé par des Anglais, était par exemple devenu le Club Atlético de Bilbao. Après deux titres pendant les saisons 41/42 et 42/43, grâce auxquels le club a d’ailleurs été à deux doigts de pouvoir évoluer en deuxième division espagnole, une restructuration totale du football espagnol va enfin permettre au Club Atlético de Tetuán d’être en compétition avec les formations ibériques, et évoluera désormais en troisième division espagnole.

Une promotion très intéressante sur le plan économique. Mais sur le terrain, l’équipe avait énormément de mal à rivaliser, à tel point qu’elle a été reléguée à la fin de sa deuxième saison dans le troisième échelon du football espagnol, et ce malgré avoir eu l’opportunité de disputer un barrage pour éviter la relégation et prendre la place d’une autre équipe qui avait déclaré forfait. De retour au Maroc Espagnol, le club remporte sans soucis majeurs le titre de champion en 45/46, remporte les barrages d’accès en D3 espagnole et signe son retour après seulement un an. Cette fois, les résultats sont bien plus positifs. Sous la houlette du président Julio Parrés López, et avec les arrivées de nombreux joueurs espagnols et du coach andalou Santiago Núñez, le club remporte le titre lors de la saison 48/49 et s’octroie la possibilité de disputer les play-offs de montée en deuxième division. Après avoir fait le boulot, le club allait enfin pouvoir découvrir la D2 espagnole… Cette fois, il n’allait pas trembler. Le club termine à une belle 5e position et ne termine qu’à quelques points des places pour la montée en première division. Reconnu pour sa politique de formation, le club exploitait principalement le vivier local dans le Maroc Espagnol, allant chercher les meilleurs jeunes dans les équipes locales. Dans le même temps, il avait noué une relation avec son ancien rival, l’Español C.F, qui lui servait de filiale et qui venait d’obtenir sa montée en troisième division espagnole. Le foot hispano-marocain était en plein essor…

Vista del estadio (Los50).
Le Stade de Varela en 1951 (ensuite connu sous le nom de Stade Sania Ramel) – crédits : 20minutos.es

Il ne faudra plus qu’une saison en deuxième division avant de connaître la gloire et la montée en première division, à l’issue de l’exercice 1950/1951, soldé par un bilan de 15 victoires, 5 nuls et 8 défaites. La saison dans l’élite du foot ibérique n’allait cependant pas être glorieuse, puisque le club aura fini lanterne rouge du championnat, et donc relégué dans la foulée en deuxième division.  Le Stade de Varela aura cependant vu défiler les meilleurs joueurs comme Kubala et les meilleures équipes espagnoles sur sa pelouse. On notera par exemple l’écrasante victoire 4-1 face à… l’Atlético de Madrid ! Un match est resté dans les mémoires aussi, à savoir la réception du Real Madrid le jour de la fête des Rois Mages. La rencontre s’était terminée sur un score de 3-3, mais les supporters locaux s’étaient plains de graves erreurs d’arbitrage en faveur des Merengues en toute fin de rencontre quand l’Atlético menait 3-1, et des incidents ont éclaté après la rencontre. Quoiqu’il en soit, cette saison fut historique, puisqu’à ce jour, l’Atlético Tetuán est le seul club étranger à avoir évolué en première division du football espagnol.

Mais dans un contexte compliqué en Espagne, l’Atlético Tetuán faisait office de modèle de tolérance et d’intégration. Dans l’effectif, Chrétiens, Musulmans et Juifs étaient mélangés et cohabitaient sans aucun souci. Quelque chose qui peut paraître tout à fait normal et banal aujourd’hui mais qui était loin d’être fréquent à cette époque.  Chicha, joueur de confession musulmane considéré comme un des meilleurs joueurs marocains de l’histoire, était la star de l’équipe, aux côtés de Jaco Zafrani, lui de confession juive, ou de Humanes, chrétien espagnol.

Le Moghreb Tétouan en 2015 (crédits : FIFA.com)

Une fois en deuxième division, le club ne parviendra plus à remonter, malgré avoir disputé les play-offs de montée à plusieurs reprises. Le 2 mars 1956, l’indépendance du Maroc est déclarée par le Maroc, ayant pour effet immédiat la retraite des troupes françaises et espagnols présentes sur place. Le Club Atlético de Tetuán n’allait donc pas pouvoir continuer de jouer en Espagne, et se devait de trouver une solution d’urgence. Au final, le club a fusionné avec la S.D. Ceuta, équipe de la ville de Ceuta, située en territoire marocain mais bien espagnole toujours aujourd’hui, donnant naissance en juillet 1956 au Club Atlético de Ceuta, qui allait donc signer la mort de l’Atlético Tetuán, le club étant désormais totalement espagnol . Le Club Atlético de Ceuta évoluera en deuxième division pour sa première année d’existence, mais ne retrouvera jamais la première division, végétant dans les divisions inférieures espagnoles, jusqu’à fusionner en 2013 avec un autre club local, effaçant toutes ses racines rojiblancas. En revanche, au Maroc, l’héritage colchonero subsiste toujours. Quelques années après la disparition de l’Atlético Tetuán, le Moghreb Athletic de Tétouan voit le jour. Et le moins que l’on puisse dire, c’est que l’aventure a été réussie, puisqu’après avoir longtemps évolué en deuxième division, le club a connu l’élite du football marocain et a même gagné deux titres de champion national en 2012 et 2014. L’identité rojiblanca reste présente sur les maillots et le logo, et le club est même partenaire avec l’Atlético de Madrid, qui a construit une école de foot à Tétouan.

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